En raison de l’épidémie du COVID-19 et des mesures prises pour lutter contre la contamination, les revenus des auteurs et autrices du livre, comme ceux de nombreux Français et Françaises, seront impactés.
La Ligue des Auteurs Professionnels avec ses membres fondateurs la Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse et les États Généraux de la BD ont mis en place un premier questionnaire à destination des auteurs et autrices de livre, dans le but de qualifier et quantifier l’impact du confinement sur leur activité et leurs revenus. L’enquête a été diffusée via les canaux de communication suivis par nos adhérents et adhérentes au tout début de la crise sanitaire, pour tâcher d’avoir un aperçu des premiers impacts. Ces enquêtes se poursuivront et s’étofferont tout au long de la crise.
Population
351 auteurs et autrices du livre ont répondu durant la semaine de l’enquête. Compte tenu des profils des adhérents de nos organisations professionnelles, il s’agit sans surprise d’une population très majoritairement professionnalisée, pour qui les impacts de la crise sont des enjeux de survie sociale et économique. Nous constatons que ceux et celles qui ont pris le temps de répondre sont très majoritairement des auteurs et autrices pour qui la rémunération de prestations en plus de l’exploitation de leurs œuvres est une pratique installée (ateliers, interventions scolaires…). De fait, ces auteurs et autrices constatent un impact immédiat et brutal sur leurs revenus, qu’il faudra additionner aux impacts plus long terme à venir, encore non quantifiables.
Les répondants pratiquent une activité d’écriture (63,5 %), de dessin ou illustration (54,5 %), de scénario (21,3 %) ou de traduction (5,4 %). La majorité des répondants pratiquent plusieurs activités.
Les principaux secteurs éditoriaux (nomenclature du Syndicat National de l’Édition reprise par les institutions) représentés parmi les répondants sont :
- La littérature jeunesse (74,0 %)
- La BD (32,6 %)
- Le roman (22,5 %)
- Le document, les essais, l’actualité, l’humour (8,4 %)
- Les beaux livres et les livres d’art (7,8 %)
Mode de rémunération
Pour contextualiser, il faut comprendre que les rémunérations des auteurs et autrices du livre prennent plusieurs formes, intégrées au régime artistes-auteurs. Pour simplifier :
- Les à-valoir, avance sur droits qui est la rémunération touchée pendant la création d’une œuvre. Cette rémunération peut hélas être fragmentée et différée : une partie à signature, une partie à remise du manuscrit, une partie à parution du livre.
- Les redevances, qui sont les droits d’auteur générés par l’exploitation de livres antérieurs. Les auteurs et autrices du livre n’ont aucune visibilité sur leurs ventes ou les droits à venir. Seules les maisons d’édition ont cette information. Les auteurs et autrices découvrent le montant qui leur sera versé une fois par an, entre avril et juin en général. Exception en bande-dessinée où les redditions de compte sont bi-annuelles.
- Les “revenus accessoires“, qui sont des revenus issus de prestations des auteurs et autrices en lien avec leurs œuvres : interventions, conférences, ateliers, lectures publiques, etc. Ces revenus sont touchés durant des périodes d’événements, en général de mars à juin et de septembre à décembre.
Il est à noter qu’en plus d’être aléatoire, la rémunération des auteurs et autrices est soumise à une saisonnalité et des temporalités. Il n’existe pas de revenu mensuel fixe pour un auteur, ces derniers doivent construire une trésorerie en prenant en compte la variabilité des revenus. Actuellement, nous sommes donc dans une période où nombre d’auteurs et d’autrices du livre touchent des revenus qui doivent leur permettre de vivre jusqu’à la rentrée.
Perte de revenus liée aux annulations de salons littéraires, événements, rencontres scolaires, rencontres publiques, etc.
L’annulation des événements littéraires impacte les revenus des auteurs et autrices de manière croissante en fonction de la durée potentielle du confinement. Il faut noter que la période qui s’étend de mars à juin est un temps fort des sollicitations pour les auteurs et autrices de livre, la “saison des salons” constituant un temps intense de tournées qui retombe ensuite.
Près des quatre cinquièmes (79,8 %) des auteurs et autrices sont concernés par une perte de revenus induite par l’annulation de salons littéraires, événements, rencontres. Cette proportion est de 77,1 % pour les auteurs et autrices de BD et de 84,5 % pour les auteurs et autrices du livre jeunesse.
Parmi les répondants concernés :
- Pour 15 jours de confinement (jusqu’au 1er avril), les auteurs et autrices perdent en moyenne 1597,90 €.
- Pour 30 jours de confinement (jusqu’au 15 avril), les auteurs et autrices perdent en moyenne 2196,03 €.
- Pour 45 jours de confinement (jusqu’au 1er mai), les auteurs et autrices perdent en moyenne 2798,46 €.
Dans la population des auteurs et autrices de BD concernés :
- Pour 15 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 1184,85 €.
- Pour 30 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 1672,22 €.
- Pour 45 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 2093,96 €.
Dans la population des auteurs et autrices de littérature jeunesse concernés :
- Pour 15 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 1655,28 €.
- Pour 30 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 2250,76 €.
- Pour 45 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 2848,45 €.
Perte de revenus liée aux changements de conditions de contrats éditoriaux
Suite à l’annulation des offices en librairie, de nombreuses maisons d’édition ont décidé d’adapter leur calendrier éditorial en reportant ou supprimant la parution de certains titres. Selon les conditions contractuelles (par exemple un versement de tout ou partie d’un à-valoir à la sortie d’un ouvrage, ou lors de la signature d’un contrat d’édition ou de commande), ces décisions peuvent être lourdes de conséquences pour les auteurs et autrices du livre.
58 % des auteurs et autrices du livre ayant répondu au questionnaire sont concernés par le report d’un ou plusieurs de leurs ouvrages.
Dans le cas où le versement de tout ou partie de l’à-valoir est conditionné à la sortie de l’ouvrage, 46 % des auteurs et autrices concernés voient ce versement être reporté par l’éditeur à la nouvelle date de sortie.
Au total, 32,5 % des auteurs et autrices voient disparaître une partie des revenus qu’ils devaient toucher dans les mois à venir du fait des reports (versements d’à-valoir décalés, annulations et reports de commandes).
- Les auteurs et autrices concernés perdent en moyenne 3065,38 €.
- Les auteurs et autrices BD perdent en moyenne 3779,73 €.
- Les auteurs et autrices du livre jeunesse perdent en moyenne 2722,16 €.
Impact non mesurable de la crise sanitaire sur les revenus des auteurs.
57,5 % des auteurs et autrices sont impactés ou très impactés dans leur activité par la fermeture des écoles, crèches et garderies ;
34,4 % des auteurs et autrices sont impactés ou très impactés dans leur activité par la fermeture des services et commerces.
La présence des enfants en continu au sein du foyer et le besoin d’assurer la continuité pédagogique réduisent le temps alloué au travail et la qualité du travail des auteurs et autrices.
La difficulté d’accéder à certains services (livraison de planches, rencontres physiques entre co-auteurs, réception de contrats ou de règlements par courrier, dépôts de chèques, etc.) impacte le travail et les finances de nombreux auteurs.
La majorité des auteurs et autrices interrogés considère que le confinement impactera fortement leurs revenus sur le long terme (droits d’auteurs de l’année n+1).
Leurs principales craintes sont :
- La diminution des ventes des livres sortis juste avant la crise sanitaire (distribution et promotion arrêtées) ;
- L’engorgement à prévoir des parutions à la fin de la crise, entraînant une diminution automatique des ventes possibles ;
- La diminution des revenus d’une partie de la population française (chômage forcé, réduction des bénéfices des entreprises) et donc la part allouée aux dépenses liées à l’achat de livres.
Nous savons que les impacts sur notre activité prendront de nombreuses formes et que certaines pertes de revenus seront impossibles à quantifier, du fait du ralentissement économique des industries culturelles. Ces conséquences dramatiques s’appliqueront également aux autres métiers de la création, déjà fortement fragilisés. Les artistes-auteurs sont la variable d’ajustement systématique des secteurs de diffusion. L’absence de régulation et de droit du travail laisse en plus craindre une vulnérabilité décuplée face aux entreprises exploitant leurs œuvres. Aussi, l’absence d’évolution de notre statut et de réforme efficace de notre régime de sécurité sociale induit de lourdes conséquences sur notre vie quotidienne et l’accès à nos droits sociaux. Il paraît donc essentiel de penser un fonds d’urgence transversal à l’adresse de tous les artistes-auteurs, pour accompagner sur le court et le long terme les professionnels que nous sommes dans cette période qui s’annonce extrêmement difficile.