Mercredi 8 juillet 2020 avait lieu une plénière artistes-auteurs au Ministère de la culture. Trois sujets primordiaux y ont été abordés :
- Le décret du régime social des artistes-auteurs attendu depuis 2013.
- Les 4 mois d’exonération de cotisations sociales promises par le président de la République.
- La représentativité professionnelle.
La Ligue des auteurs professionnels exprime sa profonde inquiétude quant à la gestion générale des problématiques sociales liées aux artistes-auteurs : les conséquences du décret s’il est appliqué en l’état, la grande complexité des modalités de l’exonération des cotisations ainsi que l’absence de garantie de la reconnaissance d’une profession et d’une démocratie sociale.
Nous vous proposons un compte-rendu de cette plénière, afin de mieux mesurer les enjeux qui vont se nouer dans les mois à venir pour les auteurs et autrices du livre, et plus globalement l’ensemble des artistes-auteurs.
Régime social : petites avancées sur le champ du régime, confiscation de la démocratie sociale et maintien de l’existant
- Le projet de décret proposé au mois de mars aux syndicats, associations et organismes de gestion collectives a pour ambition de « clôturer l’édifice qu’est le régime artistes-auteurs ». Malgré de nombreux retours construits et étayés juridiquement d’une quinzaine d’organisations professionnelles, c’est ce projet inchangé qui a été envoyé en lecture au Conseil d’État.
- Le ministère assure avoir transmis au Conseil d’État toutes nos questions et nos retours. Une seconde version du décret aurait été rédigée. L’arbitrage se jouera entre deux décrets possibles : celui du mois de mars et la version amendée après consultation du Conseil d’État. Nous n’avons pas accès à cette seconde version.
- Peu importe sa version, le décret mélange deux sujets : les revenus entrant dans le périmètre du régime des artistes-auteurs et notre organisme de sécurité sociale.
- En ce qui concerne le champ du régime artistes-auteurs, le décret comprend potentiellement plusieurs avancées significatives : intégration des revenus d’autodiffusion, intégration de la conception de l’œuvre ou distinction consolidée juridiquement entre revenus principaux et revenus accessoires.
- En revanche, le décret intègre des directeurs de collection de façon ambivalente, ce qui laisse la porte ouverte à de nombreuses entorses au droit du travail et qui vient en contradiction avec la première décision du Conseil d’État.
- En ce qui concerne l’organisme de sécurité sociale, aucune élection professionnelle n’est prévue juridiquement : cela va à l’encontre de la promesse formulée par le Ministre de la culture Franck Riester.
- Les représentants des artistes-auteurs seront choisis par les ministères, tandis que les organismes de gestion collectives se voient octroyer des voix délibératives (les OGC étaient auparavant seulement consultatifs à l’Agessa, et absents de la Mda)
- Un seul organisme de sécurité sociale est annoncé maintenu. D’après nos informations, il s’agirait de l’Agessa, en dépit du fait qu’il est désormais de notoriété publique que cet organisme a agi en violation de la loi depuis 50 ans, portant préjudice à plus de 200 000 artistes-auteurs.
Conclusion :
Sur le champ du régime des artistes-auteurs, nous notons quelques avancées qui sont le fruit d’un long travail de discussion avec le ministère de la culture tout au long de 2019, pour lequel une partie de nos recommandations ont été manifestement intégrées (auto-diffusion, conception de l’œuvre, consolidation juridique des revenus principaux et accessoires, etc). Néanmoins, ce décret a profité à d’autres groupes d’intérêt pour introduire dans le champ du régime artistes-auteurs des activités très ambivalentes entre le Code de la propriété intellectuelle et le Code du travail. Le régime des artistes-auteurs ne doit pas être un outil d’effet d’aubaine (1,1% de l’équivalent de la “part patronale” seulement) pour les employeurs afin de précariser les autres métiers de l’édition.
En ce qui concerne l’organisme de sécurité sociale, la Ligue des auteurs professionnels est très inquiète. Compte tenu du bilan catastrophique de la gestion du régime, une réforme d’envergure s’imposait. En l’état, c’est le maintien de l’existant comme s’il n’y avait aucune leçon à tirer des 50 dernières années. C’est un déni complet des préjudices subis par les artistes-auteurs et une confiscation de la démocratie sociale.
Aides et exonérations : promesse non tenue
- Emmanuel Macron a promis pendant la crise du COVID-19 une exonération des charges sociales de quatre mois pour les artistes-auteurs.
- La réalité de sa mise en pratique est une déduction et non pas une exonération, selon un système extrêmement complexe, qui comprend de nombreux effets de seuils. D’un point de vue technique, le système promet déjà un décalage dans le temps important avant que les artistes-auteurs puissent voir les effets concrets de cette mesure.
- Il a été décidé de ne faire bénéficier de cette mesure qu’une partie des artistes-auteurs. Un nouveau critère arbitraire de professionnalité a été établi par les pouvoirs publics : ne pourront bénéficier de cette mesure d’exonération de 4 mois des cotisations sociales que les artistes-auteurs ayant touché au minimum 3000 euros de revenus artistiques en 2019. Cela exclura de fait les jeunes créateurs et créatrices en début d’activité ou encore ceux et celles ayant eu une année difficile.
- Le système retenu est un abattement forfaitaire sur les revenus 2020 variable par tranche d’assiette sociale 2019. Pour être appliqué, cet abattement nécessite la connaissance par l’administration du montant total des revenus 2019 et 2020. Les artistes-auteurs dispensés de précompte et en BNC peuvent déjà moduler leurs cotisations à 0 sur leur espace artistes-auteurs, en faisant le calcul de l’abattement auquel ils auront droit. Mais les artistes-auteurs précomptés ne verront l’effet de ces exonérations qu’en 2021 au plus tôt.
- En outre, l’exonération ne prend pas en compte notre retraite complémentaire, l’IRCEC.
Conclusion :
Contrairement à la promesse présidentielle, il ne s’agit pas d’une exonération complète des cotisations sociales, mais d’une déduction d’une partie des cotisations sociales pour une partie des artistes-auteurs, le tout selon des conditions complexes et qui promettent une mise en place technique aussi lourde que la compensation de la CSG.
La notion de profession pour les artistes-auteurs semble utilisée à géométrie variable, selon les circonstances. Encore une fois, le seul critère du revenu est retenu, alors que les travaux du rapport Racine ont bien indiqué que ce critère était insuffisant pour juger de la professionnalité des artistes-auteurs compte tenu de la fluctuation de nos rémunérations.
Nos organisations professionnelles avaient proposé une exonération d’un tiers des cotisations sociales de l’année 2020 (l’équivalent de 4 mois de cotisations, lissées sur l’année donc). Les autres travailleurs indépendants de la culture disposent d’une véritable exonération. Nous déplorons qu’une solution simple n’ait pas été retenu et qu’il ait été préféré une usine à gaz technocratique et complexe, basée sur des arbitrages budgétaires et une appréhension politique floue de qui l’État doit soutenir quand il soutient “les artistes-auteurs”.
Élections professionnelles : la nécessaire intervention du Ministère du travail
- Aucun signe des élections professionnelles tant attendues.
- Il a été proposé de mettre en place des « groupes de travail » en septembre, une nouvelle fois « par secteur », c’est-à-dire en raisonnant par les canaux de diffusion et non pas par nos métiers.
Conclusion :
La question de la représentativité professionnelle doit être traitée selon deux axes pour former un véritable statut : notre régime de sécurité sociale et les accords interprofessionnels encadrant nos conditions de travail avec les exploitants de nos œuvres. Sur la question du régime de sécurité sociale, nos secteurs de diffusion ne devraient avoir aucun rapport avec la discussion. Sur la question de la négociation de nos conditions contractuelles, il faudrait une vision transversale artistes-auteurs ensuite affinée par secteurs de diffusion pour entrer dans le détail des différents métiers. La méthodologie proposée actuellement par le ministère de la culture est en totale contradiction avec les résultats du Rapport Racine qui proposait de remettre l’artiste-auteur au centre, non pas à travers ses secteurs de diffusion mais bien de son activité de création.
L’absence d’un véritable statut professionnel et de règles claires de représentativité a clairement impacté les artistes-auteurs durant la crise du Covid 19. Les instances et pouvoirs publics ont immédiatement établi le raisonnement qu’il fallait aider les créateurs et créatrices pour qui l’activité de création représentait un enjeu de survie économique et sociale. Mais chaque structure, association, opérateur privé ou public a formulé sa propre conception personnelle de la professionnalité. Résultat : un mélange chaotique entre des mesures d’ordre social, professionnel ou économique et d’énormes des difficultés administratives, quand les autres professions ont pu accéder à leurs droits de façon simple et automatique.
La Ligue des auteurs professionnels plaide pour un traitement transversal artistes-auteurs des questions de représentativité professionnelle, considérant que les créateurs et créatrices sont unis par un seul et même statut. Transversalité ne signifie pas effacement des spécificités ! Le statut des intermittents du spectacle n’empêche en aucun cas l’élaboration de questions sectorielles plus fines ou l’existence de métiers très divers et particuliers. Mais c’est l’absence d’un véritable statut pour les créateurs et créatrices, tout comme la reconnaissance de la profession, qui permet le maintien d’une situation économique, sociale et administrative aussi chaotique et grave.
Il est fondamental que la question de la représentation professionnelle ne soit pas traitée sous l’angle des affects, de l’ancienneté ou de l’idéologie, mais bien du droit et de la loi.
Il est impératif que le Ministère du travail soit activement associé à ces travaux afin que soient clarifiées ces notions de représentativité professionnelle, de dialogue social et de liberté syndicale.
La Ligue milite pour un véritable statut professionnel des artistes-auteurs où notamment le revenu ne serait pas l’unique critère définissant un créateur ou une créatrice de profession. Il est essentiel que des travaux soient conduits à l’aune d’une réflexion profonde, sérieuse et à la croisée du Code de la propriété intellectuelle, du Code de la sécurité sociale et du Code du travail.
La Ligue des auteurs professionnels réitère ses profondes inquiétudes. Le diagnostic du Rapport Racine et ses préconisations étaient finalement d’une redoutable prescience à la lumière de la crise sanitaire actuelle et de ses conséquences. N’est-il pas temps de tirer les enseignements de près de 50 ans de dysfonctionnements pour donner aux créateurs et créatrices de ce pays le cadre clair qu’ils méritent ?