Actuellement, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) étudie l’opportunité d’encadrer le contrat de commande pour les artistes-auteurs. Il s’agit de l’une des préconisations majeures du rapport Racine, dont vous pouvez retrouver une synthèse des mesures prioritaires pour de nombreuses organisations professionnelles ici.
On parle légalement de commande dans le cas où une œuvre n’existe pas encore et qu’un diffuseur ou un client (dans le cas du secteur du livre, un éditeur) sollicite un auteur pour la réalisation d’une œuvre de l’esprit en vue de procéder à son exploitation.
Étonnamment, l’encadrement de la commande suscite des réactions hostiles de la part d’organisations se revendiquant représenter les intérêts professionnels des artistes-auteurs. La Ligue des auteurs professionnels constate que le Conseil Permanent des Écrivains communique pour s’opposer à cette mesure. Le Conseil Permanent des Écrivains se revendique représentatif de l’ensemble des auteurs et autrices du livre et demande de poursuivre les négociations avec le Syndicat National de l’Édition au nom de tous les auteurs.
Les arguments développés par le Conseil Permanent des Écrivains contre le contrat de commande sont juridiquement infondés. Il est faux de dire que le contrat de commande est incompatible avec la liberté du créateur. De même, le fait de considérer que “rémunérer la commande entraînerait une cession de droit automatique” est la preuve d’un manque certain de connaissances des règles élémentaires du droit d’auteur. C’est nier un principe fondamental posé par le tout premier article du Code de la propriété intellectuelle (art. L. 111-1, CPI). Véritable pierre angulaire de tout le droit d’auteur, la titularité initiale de l’auteur n’a pas lieu d’être discutée au prétexte que l’œuvre lui est commandée. Dans bien d’autres secteurs culturels que le livre, des créateurs et créatrices cumulent une rémunération en amont (pendant l’acte de création) puis en aval (pendant l’exploitation). C’est le cas par exemple des journalistes, des photographes, des réalisateurs et réalisatrices, des architectes, des auteurs de spectacle vivants etc. Rappelons que c’était également le cas des auteurs et autrices de bande dessinée il y a encore quelques décennies.
Au sein du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur est conçu comme partie faible au moment de l’exploitation de l’œuvre, c’est la raison pour laquelle un formalisme des contrats de cession existe, allant jusqu’à admettre l’annulation de la cession en cas de non-respect de ses règles. Pourquoi l’auteur n’est-il pas considéré comme une partie faible avant toute exploitation de l’œuvre, alors même qu’il est déjà lié à son exploitant ?
Certes, le Code civil prévoit effectivement un contrat de louage d’ouvrage, mais puisqu’il s’agit ici de droit commun des contrats, la spécificité de l’auteur, en tant que partie faible, est totalement niée, d’où l’intérêt de concevoir aussi l’auteur comme partie faible en amont et de prévoir un cadre juridique répondant à ses besoins de protection.
Face aux incompréhensions et aux fausses informations véhiculées sur le contrat de commande, il apparaît nécessaire que soit organisé un véritable débat entre experts pour rétablir certains fondamentaux du droit d’auteur.
Les arguments renvoyés par le Conseil Permanent des Écrivains sont les mêmes qui sont souvent développés par les diffuseurs des œuvres lorsque vient la question d’enfin reconnaître le travail créatif et de mettre en place des leviers légaux contraignants pour garantir une rémunération minimum.
Aujourd’hui, la confusion entre le travail de création et la cession des droits patrimoniaux a donné naissance à un contrat hybride qui a permis à l’industrie du livre d’invisibiliser l’acte de création. De même, la rémunération de l’à-valoir, avance sur droits amortissables, a paralysé la possibilité pour de nombreux auteurs et autrices de toucher des droits d’auteur sur l’exploitation de leurs œuvres. Si le partage de la valeur est un combat très important, ce dernier ne peut se faire au détriment de la reconnaissance du travail de création et de la protection sociale des individus qui exercent de véritables métiers au sein d’industries culturelles. De plus, le décret d’août 2020 reconnaît bien officiellement la conception d’œuvre, le cœur battant de notre activité, comme entrant dans le champ du régime artistes-auteurs. Fiscalement, socialement et juridiquement, nos revenus artistiques et de droits d’auteur doivent continuer à être harmonisés de façon conforme à notre régime, pour sortir des ambiguités administratives.
Pour finir, encadrer le contrat de commande pour les créateurs et créatrices est une véritable urgence. Le président de la République a annoncé un plan de commandes publiques pour les artistes-auteurs, qui est en cours d’élaboration. Non seulement le contrat de commande existe déjà, mais la commande est une pratique littéraire et artistique courante dans nos professions. La commande littéraire et artistique est fortement sollicitée par les institutions et les pouvoirs publics. Encore faut-il être en mesure d’encadrer juridiquement l’ensemble de ces contrats de commandes lorsque celles-ci seront réalisées, afin de protéger les intérêts des créateurs et créatrices. L’État doit être exemplaire en matière de rémunération et de conditions contractuelles pour les artistes-auteurs.