Les 30 propositions de la Ligue
Axe I : Protéger et rémunérer
le travail de création
En France, la représentation fantasmée de l’auteur a la vie dure ! On imagine par exemple qu’une autrice rédige un roman dans son coin, des années durant, avant d’envoyer son manuscrit par la poste et d’attendre que le miracle se produise… qu’un éditeur lui dise “oui” ! Cela existe, c’est vrai, en début de carrière, mais ensuite dans la plupart des cas, ce sont aussi des structures (éditeurs, producteurs, institutions, etc.) qui sollicitent un auteur ou une autrice pour créer une œuvre. On estime que deux tiers des écrivains ont déjà été sollicités pour réaliser un travail de création.
Or, cette représentation fantasmée de la création fait beaucoup de mal aux auteurs et autrices qui se consacrent professionnellement à une activité de création. Aujourd’hui, l’économie de la commande créative est largement majoritaire. Or, elle n’est pas prise en compte par le législateur. Pourtant, les industries culturelles sont en développement croissant et ce sont elles qui sont de plus en plus à l’origine de sollicitations de créations d’œuvres. En d’autres termes, elles demandent un travail de création aux auteurs et autrices. Or, il en résulte qu’en l’absence d’un droit contractuel plus protecteur du travail de création, la majorité des contrats de cession de droits sont très défavorables aux auteurs et autrices.
Les contrats d’édition sont devenus des “contrats mixtes” mêlant à la fois des clauses portant sur l’amont (le travail de création) et des clauses portant sur l’aval (l’exploitation des droits). À défaut de règles encadrant les conditions de travail, on rend invisible le travail de création. Les rémunérations versées contre le travail de création et contre la cession des droits patrimoniaux sont totalement mélangées au détriment des auteurs et autrices.
Cette invisibilisation du travail a donné naissance à la pratique des avances sur droits. Quand on a besoin de mobiliser le temps d’un individu, il faut bien le rémunérer ! Mais dans l’édition, l’à-valoir paralyse la rémunération proportionnelle sur les ventes : il faut d’abord rembourser cette somme avant d’espérer toucher des droits sur l’exploitation.
Pour résumer, le constat est malheureux : le droit protège mieux les œuvres, prolongement de la personnalité des auteurs et autrices, que leurs corps. Or, il devient urgent de lutter contre l’invisibilisation du travail de création, car actuellement le travail de création n’est ni encadré ni rémunéré.
Mesure 1 : Encadrer le travail de création
De l’absence d’encadrement du travail de création découlent de nombreuses difficultés juridiques exposant les auteurs et autrices à d’importants déséquilibres contractuels.
Que faire concrètement lorsque l’exploitant change ses plans en cours de route et demande une quantité astronomique de modifications à l’auteur, lequel est contraint de recommencer sans qu’aucune rémunération supplémentaire n’ait été fixée ?
Que faire lorsqu’une autrice tombe enceinte pendant l’écriture de son roman pour lequel elle a signé un contrat d’édition ? Peut-on engager sa responsabilité parce qu’elle ne rend pas le manuscrit dans les délais ? -> Que faire quand un dessinateur se casse le bras pendant la réalisation d’un album ? Il a le droit à un arrêt maladie, mais son contrat de cession l’engage à une date de remise précise…
Aucune solution juridique n’est certaine en l’absence d’encadrement spécial du travail de création.
Nous recommandons l’ajout de règles simples afin d’encadrer ce temps antérieur à l’exploitation de l’œuvre qui fait partie intégrante de la vie professionnelle de nombreux auteurs et autrices. Il faudrait notamment limiter dans le temps et en nombre les demandes de modifications de l’œuvre faite par l’éditeur et ajuster le prix en fonction des remaniements exigés par l’éditeur. Il faudrait également plus de cohérence avec le code de la sécurité sociale en cas d’accident de la vie, maladie, congé parentalité.
Mesure 2 : Rémunérer le travail de création
Actuellement le travail de création, lorsqu’il est commandé par un éditeur, n’est pas rémunéré en tant que tel. Seule la cession des droits est rémunérée par des avances sur droits (des à-valoir), lesquels conduisent les auteurs et autrices à devenir les débiteurs d’une créance à l’égard de l’éditeur, alors même qu’ils ont réalisé un travail lui ayant permis de gagner de l’argent. Les échéanciers de versement de ces avances témoignent de cette survalorisation de la cession des droits au détriment du travail de création. L’existence d’échéances de paiement à la remise de travaux ne doit pas faire perdre de vue que ces sommes restent en tout état de cause des avances sur droits, et ne rémunèrent pas le travail en tant que tel. En effet, lorsque l’à-valoir n’est pas amorti (ce qui arrive globalement très souvent), l’éditeur est en mesure de demander à l’auteur le remboursement des sommes restant dues.
Ce système n’est plus tolérable tant il participe à la précarisation des auteurs et autrices.
Nous recommandons que ces rémunérations soient dues et versées indépendamment de l’exploitation de l’œuvre, et de ce fait qu’elles ne soient ni remboursables ni amortissables. De manière plus large, une vraie réflexion doit être menée sur la rémunération des nombreuses activités d’auteurs et autrices qui ne sont pas, ou pas assez, considérées. Les rencontres scolaires, dédicaces, participation aux salons, aux manifestations sont souvent bénévoles, or nous devons lutter contre l’invisibilisation de tous les temps liés au travail de création.