Les travailleur·ses de l’art s’opposent à la réforme du RSA

La Ligue cosigne avec une vingtaine d’organisations professionnelles d’artistes-auteurices une tribune en opposition à la réforme du RSA.

© Camille Ulrich

Tribune publiée dans le média Libération ce 28 janvier 2025 :

La réforme du revenu de solidarité active (RSA) est entrée en vigueur sur tout le territoire depuis le 1er janvier 2025. Cette réforme contraint les allocataires, désormais inscrits automatiquement à France Travail, à signer un contrat qui les engage à intégrer une entreprise, ou à suivre une formation pour une durée hebdomadaire de 15 heures. En l’absence d’effectivité de ces « heures d’activité », l’administration pourra suspendre ce revenu de subsistance. Nous, travailleur·euses de l’art, sommes opposés à cette réforme et demandons son abrogation. Car, comme le souligne la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), elle porte atteinte au droit à des moyens convenables d’existence, prévu dans le Préambule de la Constitution de 1946, comme à celui d’une insertion sociale et professionnelle librement choisie, inclus dans la Charte sociale européenne.

Nous souhaitons alerter, en particulier, sur les dangers qu’elle fait peser sur l’activité professionnelle des allocataires artistes-auteur·ices. Les artistes-auteur·ices sont artistes plasticien·nes, graphistes, designers, écrivain·es, illustrateur·ices, auteur·ices de bande dessinée, auteur·ices de jeux, compositeur·ices de musiques, scénaristes, réalisateur·ices de films, photographes, auteur·ices de théâtre, chorégraphes, traducteur·ices d’édition et de l’audiovisuel…

Contrairement aux professions salariées, la création artistique est décorrélée d’une notion de temps de travail et sa rémunération n’est généralement pas immédiate. Pendant le temps consacré à la création — qui constitue l’essence de leur travail —, les artistes-auteur·ices ne sont pas, ou peu, payés. Or créer nécessite du temps. Et ce n’est qu’une fois l’œuvre achevée qu’ils·elles pourront éventuellement percevoir des revenus d’artiste-auteur·ice, en fonction de la vente ou de la diffusion de celle-ci — données sur lesquelles ils·elles n’ont aucune prise.
En attendant ces hypothétiques retombées financières, les artistes-auteur·ices doivent assumer seuls un temps de travail qui ne génère souvent aucun revenu et occasionne des frais (achat de matériel, déplacements, inscriptions à des évènements professionnels, etc.) Il arrive, par ailleurs, qu’une fois achevées les œuvres ne trouvent pas de débouchés commerciaux immédiats. Dans ce cas, les artistes-auteur·ices n’obtiennent aucun revenu pour le travail effectué. Les chiffres attestent de la sous-rémunération chronique du travail artistique : en 2021, sur la population constante des artistes-auteur·ices (soit 190 000 personnes), 75 % ont perçu moins de 10 000 euros de leur activité dans l’année. La sous-rémunération et l’invisibilisation du travail de création artistique peuvent contraindre les artistes-auteur·ices à recourir au RSA pour survivre.

Ils·elles sont bel et bien actifs et ne souffrent ni d’une perte d’emploi, ni de problèmes de réinsertion, ni d’un manque de formation. En revanche, ils pâtissent de la précarité structurelle liée aux métiers de la création artistique, aggravée par une couverture sociale insuffisante et incomplète.

Les « activités » envisagées par la réforme du RSA sont inadaptées à la situation des artistes-auteur·ices : ils·elles n’ont pas besoin de formations sans lien avec leur métier, pas plus que des stages d’immersion en entreprise ou en association. Ils·elles consacrent déjà leur temps à l’exercice de leur activité, qui comprend les travaux préparatoires et des recherches, le temps de conception, mais aussi toutes les démarches en vue de la vente et/ou de la diffusion ultérieures de leurs œuvres.
Leur imposer 15 heures hebdomadaires d’activités totalement déconnectées de leur exercice professionnel est non seulement dénué de sens, mais aura pour effet d’accroître leur précarité, puisque ces heures empiètent, sans aucun bénéfice pour eux, sur le temps dont ils·elles ont besoin pour espérer pouvoir vivre de leur métier.

C’est pourquoi nous demandons que les travailleur·euses affiliés à la Sécurité sociale des artistes-auteur·ices bénéficiaires du RSA soient expressément écartés de cette réforme et qu’il·elles ne soient pas dans l’obligation de réduire le temps qu’ils·elles consacrent à l’exercice de leur activité professionnelle, voyant ainsi fondre les ressources qu’ils·elles peuvent en dégager.

Il est, en outre, inapproprié de demander à un·e agent·e de France Travail de surveiller, par exemple, l’avancée de la création d’une œuvre d’art visuel, l’écriture d’un scénario, d’une œuvre musicale ou d’une traduction littéraire. Contrôler les démarches « vers l’emploi » d’un·e artiste-auteur·ice et conditionner le versement de son allocation à ces actions ne constitue pas un « accompagnement » mais une forte perturbation de son activité professionnelle, comme cela a déjà été attesté par l’expérimentation de cette réforme dans certains départements.

C’est pourquoi nous demandons que soit adopté un texte opposable, pour l’ensemble des artistes-auteur·ices, spécifiant l’exemption des 15 heures d’activité et le suivi obligatoire prévus par la réforme du RSA.
Le droit à un accompagnement professionnel des artistes-auteur·ices bénéficiaires du RSA ne peut être qu’une option volontaire avec des interlocuteurs qui connaissent les spécificités de la création artistique.

Nous, artistes-auteur·ices, sommes rattachés au Régime général des salarié·es. Cependant, nous ne jouissons pas des mêmes droits (notamment aux allocations chômage) tout en étant soumis aux mêmes obligations, notamment le paiement de la CSG.
Ce qui nous amène à demander l’adoption de la proposition de loi visant à l’instauration d’un revenu de remplacement pour les artistes-auteur·ices temporairement privés de ressources (PPL n° 442, déposée à l’Assemblée nationale le mardi 15 octobre 2024).
Cette avancée sociale majeure permettrait aux artistes-auteur·ices de sortir de la précarité qu’il·elles subissent aujourd’hui, tout en reconnaissant leurs activités comme un travail.

 

Signataires

Alliance France Design

Association Central Vapeur

Association des Auteur·ices de Bande Dessinée

Association des traducteurs littéraires de France

Association des Traducteurs Adaptateurs de l’Audiovisuel

Backstory l’Association

Charte des Illustrateur·ices Ludiques

Comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et autrices

États généraux de la bande dessinée

La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse

Ligue des auteurs professionnels

Société des Auteurs de Jeux

Société des Réalisatrices et réalisateurs de Films

Syndicat des Écrivains de Langue Française

Syndicat des Scénaristes

Syndicat des Travailleur·euses Artistes-Auteur·ices CNT-SO

Syndicat français des compositrices et compositeurs de musique contemporaine

Syndicat National des Artistes Plasticien·nes CGT

Syndicat National des Artistes-Auteurs FO

Syndicat National des Photographes

Syndicat National des sculpteurs et plasticiens

Union Nationale des peintres-Illustrateurs