AI Act : 71 organisations issues de l’ensemble des industries culturelles demandent à la France un soutien clair au droit d’auteur et aux droits voisins avant le vote des Etats membres le 2 février prochain.
À l’attention de M. Gabriel Attal, Premier ministre
Monsieur le Premier ministre,
Le 6 décembre dernier, les négociateurs du Trilogue sur le projet de Règlement « Intelligence artificielle » sont parvenus à un accord politique qui revendique un point d’équilibre entre le respect du droit d’auteur et le développement des entreprises innovantes.
Depuis plusieurs semaines, les propos du Président de la République à Toulouse et les prises de positions de certains membres du Gouvernement nous font craindre que la France, considérant cet accord comme trop contraignant pour les opérateurs IA européens du secteur, cherche à construire une minorité de blocage en vue du vote du COREPER prévu le 2 février 2024.
Par définition, le texte est en cours de consolidation. L’accord des négociateurs porte sur deux obligations majeures pour les systèmes d’IA à usage général /open source : en général, l’obligation de développer une politique respectant le droit d’auteur ; et en particulier, l’obligation de fournir un « résumé suffisamment détaillé » sur les données d’entraînement suivant le principe du pays de destination, qui doit matérialiser la capacité des ayants droit à exercer leur droit d’opposition en cas d’usage de l’exception de fouille de textes et de données, rendant ainsi applicable l’article 4 de la directive DAMUN.
Toute hypothèse qui viendrait fragiliser la portée de ces principes et la protection du droit d’auteur serait inacceptable. Aussi, nous voulons vous faire part de nos très vives préoccupations sur deux points.
Tout d’abord, l’article 2(5b), qui définit les modèles d’IA à usage général, exclut immédiatement de cette catégorie – et donc des obligations qui lui incombent – les modèles en phase d’entraînement (de R&D et de prototypage) en amont de leur mise sur leur marché. D’après les éléments dont nous disposons, le texte ne précise pas si les obligations relatives au droit d’auteur seraient d’application immédiate durant la phase d’entrainement et/ou dès la mise sur le marché du modèle ou si elles n’ont vocation à s’appliquer qu’à ses éventuels futurs réentraînements, ce qui serait parfaitement bancal et contradictoire avec l’esprit de la réglementation. En outre, la condition de la mise sur le marché impliquerait que tout système à usage général qui ne serait pas mis sur le marché mais utilisé par des structures privées pour ses propres besoins serait hors champ, ce qui n’est pas davantage admissible.
Ensuite, le considérant relatif au « résumé suffisamment détaillé » des données d’entraînement ne renvoie pas à une liste d’œuvres mais à une liste des principaux ensembles de données utilisés, dans un format « simple et efficace » qui devra être fourni par le futur Bureau de l’IA. Ces ensembles de données étant généralement opaques quant aux œuvres incluses, se pose la question de l’effectivité de cette mesure qui conditionne la possibilité même de la mise en œuvre de l’exception de fouille de textes et de données. Sans transparence, il ne peut y avoir ni exercice du droit d’opposition, ni monétisation, rendant ainsi inapplicable cette exception.
Ce n’est qu’en restant cohérente sur ses valeurs et ses acquis et en refusant d’opposer l’innovation à la création que la France pourra réellement soutenir ses champions de l’IA. On ne saurait imaginer le détricotage d’une régulation européenne à l’aune du tournant majeur que représentent les IA génératives.On ne saurait davantage imaginer que le Gouvernement soutienne exagérément des intérêts particuliers et donne raison aux manœuvres d’influence et aux conflits d’intérêt de l’ancien Secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O, actionnaire et porte-parole de Mistral, membre du Comité stratégique de l’intelligence artificielle. La presse comme des parlementaires se sont notamment faits largement l’écho de pratiques qui mêlent conflits d’intérêt patentés et enrichissement personnel et qui questionnent les principes démocratiques et la transparence de la vie publique.Si la participation dans le Comité stratégique de ce lobbyiste de Mistral, enregistré comme tel dans les registres de transparence européens, était confirmée, elle jetterait par anticipation une suspicion sur les propositions qui pourraient être formulées et en affaibliraient la portée et la pertinence, d’autant plus que la présence dans ce même Comité de deux représentants de l’entreprise Mistral constitue déjà une singularité très critiquable.
Enfin, nous prenons acte des déclarations de la précédente ministre de la Culture le 19 décembre dernier à l’occasion du forum intersectoriel « Les Créateurs face à l’intelligence artificielle » organisé au CESE, saluant les obligations de transparence des données d’entraînement des modèles d’IA et s’engageant à la plus grande vigilance pour que le travail technique sur le Règlement IA respecte pleinement le droit d’auteur. Ce faisant, malgré ces propos rassurants, les inquiétudes concrètes que nous soulevons dans le présent courrier restent vives et méritent un engagement clair et sans ambiguïté des autorités françaises aux côtés des ayants droit pour garantir le maintien et l’amélioration du socle de protection du droit d’auteur et des droits voisins.
C’est pourquoi nous sollicitons un échange sans délai et vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, en l’assurance de notre haute considération.