Le droit au respect de l’œuvre

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Ô joie ! Votre charmant éditeur vous apprend que ce livre, dont vous êtes si fier ou fière, va être réimprimé. La déception est cruelle quand vous recevez vos exemplaires… Changement de couverture ou de dimensions, coupes dans le texte. Pas de panique, il s’agit maintenant de faire valoir le « droit au respect de l’œuvre ».

Que dit la loi ?

Article L. 121-1 Code de la propriété intellectuelle (code de référence pour le droit d’auteur, il s’applique à toutes les œuvres quels que soient leurs genres ou leurs supports) :

L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires.

Explication de la notion

Le droit au respect de l’œuvre est l’un des quatre attributs du droit moral français au même titre que le droit à la paternité, le droit au retrait et le droit de divulgation. Ce droit est transmissible aux héritiers à la mort de l’auteur, ils auront donc la possibilité et la charge de veiller au respect de l’œuvre du défunt. Il est opposable à toute personne qui ne soit l’un des auteurs, même si celle-ci dispose des droits patrimoniaux ou du support matériel de l’œuvre.

Le droit au respect de l’œuvre , c’est le droit au respect de la qualité matérielle de l’œuvre ET le droit au respect de l’esprit de l’œuvre.

Le respect à l’intégrité de l’œuvre suppose qu’un tiers ne peut pas modifier l’œuvre, la raccourcir, ajouter des éléments, retoucher l’œuvre…

Par exemple, constitue une atteinte à l’œuvre la publication d’un livre avec suppression de certains passages. L’atteinte peut même résulter de l’exploitation de l’œuvre autorisée mais de mauvaise qualité.

Le droit au respect de l’œuvre s’applique même si le support matériel de l’œuvre a été vendu. Posséder l’œuvre physiquement ne veut pas dire posséder les droits sur celle-ci et encore moins le droit de la modifier sans autorisation. Pour un illustrateur cela se traduit par le fait que même s’il vend une illustration, l’acheteur n’a pas le droit de la détruire ou la modifier.

Le respect à l’esprit de l’œuvre est plus subtil et dépend de l’appréciation de l’auteur. Il en résulte que porte atteinte à l’esprit de l’œuvre l’utilisation de celle-ci dans un contexte qui contredit le message porté par l’œuvre et la volonté de l’auteur. Par exemple : a été jugé contraire à l’esprit de l’œuvre une pièce qui reprend les personnages des aventures de Tintin, les replaçant dans des situations totalement différentes, et en modifie « l’image traditionnelle ».

Attention, il ne faut pas confondre l’atteinte à l’esprit de l’œuvre et l’exception de droit à la caricature qui permet de reprendre une œuvre à des fins humoristiques à la condition que le caractère parodique soit identifiable.

Et dans vos contrats d’édition?

Une clause qui attesterait l’accord de l’auteur pour toutes modifications futures de son œuvre serait nulle car l’auteur ne peut renoncer par avance à son droit moral et donc au droit au respect de l’œuvre.

Exemple de clause interdite :

« L’auteur cède à l’éditeur le droit d’apporter toutes modifications, transformations, adjonctions à l’œuvre qu’il estimera nécessaire pour la publication de celle-ci.

L’éditeur informera l’auteur des modifications apportées à l’œuvre mais celui-ci ne pourra pas s’opposer à leurs réalisations. »

En revanche, si l’auteur a donné son accord pour une modification précise, il ne peut pas, par la suite, invoquer l’atteinte au respect de son œuvre pour interdire cette même modification.

Le droit au respect de l’œuvre peut souffrir de quelques limitations en fonction de la nature de l’œuvre.

Quelques exemples :
  • Le propriétaire du support matériel de l’œuvre ne peut pas se voir condamner sur ce fondement si les modifications apportées à l’œuvre ne sont pas de son fait mais de l’usure naturelle du temps (exemple : une fresque murale en extérieur).
  • Les œuvres scientifiques, pratiques ou techniques peuvent être mises à jour sans attenter au droit moral de l’auteur.
  • Certaines œuvres d’arts appliqués peuvent être modifiées pour répondre à des impératifs techniques de fabrication.
  • Les œuvres architecturales, lorsque l’auteur connaît la nature du bâtiment et son emploi futur, il ne peut pas empêcher certaines modifications
  • Un auteur d’une œuvre logicielle ne peut s’opposer à la modification par le cessionnaire des droits que si celle-ci est préjudiciable à son honneur ou à sa réputation.

Si votre œuvre est adaptée, sachez qu’il existe alors un certain assouplissement de la règle. Les juges admettent que l’auteur de l’adaptation doit pouvoir apporter sa touche personnelle et de ce fait modifier légèrement l’œuvre préexistante. Les modifications ne doivent cependant pas être trop importantes ou dénaturer l’œuvre.

Que disent les tribunaux ?

« Le respect est dû à l’œuvre telle que l’auteur a voulu qu’elle soit ; il n’appartient ni aux tiers ni au juge de porter un jugement de valeur sur la volonté de l’auteur ; le titulaire du droit moral est seul maître de son exercice. » TGI Paris 15 octobre 1992.

« L’auteur d’un dessin, malgré la cession de la propriété d’usage de son œuvre, conserve le droit absolu de s’opposer à toute altération, modification, correction ou addition, si minime qu’elle soit, susceptible d’en altérer le caractère et de dénaturer sa pensée. » Cour d’appel de Paris 20 novembre 1935.

« La reproduction d’une œuvre sous une forme condensée porte atteinte au droit d’auteur. » Cour d’appel de Paris, 20 février 2008.

« En matière d’adaptation, une certaine liberté doit être reconnue à l’adaptateur qui peut introduire des changements nécessaires. Cour d’appel de Paris, 31 mai 1988. Mais sans que les tendances et le caractère de l’œuvre puissent être altérés. » Cour d’appel de Paris, 28 août 1910.

« La reproduction d’œuvres musicales sous forme de sonneries téléphoniques porte atteinte au droit moral de l’auteur. » TGI Paris, 7 novembre 2003

« Un auteur ne peut consentir par avance à toute déformation ou mutilation. » TGI Seine, 27 mai 1959.

Quels recours pour l’auteur ?

Selon votre relation avec votre éditeur, vous aurez pris votre téléphone, envoyé un mail assassin ou serez resté muet et découragé. Sachez qu’un éditeur ne peut ignorer l’illégalité de sa démarche, que ne pas réagir prépare le terrain à d’autres atteintes révoltantes aux œuvres, les vôtres ou celles d’autres auteurs.

À noter que ces atteintes peuvent survenir lors de la première exploitation mais aussi lors des potentielles réimpressions. Toutes modifications apportées pour réimpression doivent faire l’objet d’un accord express de l’auteur prévu par avenant au contrat.

La seule démarche respectueuse des auteurs et de votre travail et qui présente des vertus pédagogiques est un courrier envoyé en recommandé AR (en cas d’absence de réponse de votre éditeur ou de réponse insatisfaisante, n’hésitez pas à demander conseil auprès de professionnels compétents et d’envisager des poursuites judiciaires pour faire cesser l’atteinte).

Voici la lettre que les juristes de la Ligue mettent à votre disposition :

PREMIÈRE LETTRE DE MISE EN DEMEURE
ATTEINTE AU DROIT MORAL

à l'attention de
{Maison d'édition}
{Monsieur/Madame X}
{Adresse}

À {ville}, le {date}

Objet : Lettre de mise en demeure

Par lettre recommandée avec accusé de réception n°{XXXXX}
et par email à l’adresse {xxx@yyy}

Madame, Monsieur,

J’ai pu constater que mon œuvre {nom de l’œuvre} a fait l’objet de modifications qui n’ont pas été portées à ma connaissance/ que je n’ai pas validées / que je n’ai pas acceptées. Ces modifications apportées à l’œuvre sans mon autorisation portent atteinte à l’intégrité de mon œuvre. {Compléter en précisant les modifications + en quoi elles portent atteinte à votre intégrité}.

Or, conformément à l’article L132-11 « Il (l’éditeur) ne peut, sans autorisation écrite de l'auteur, apporter à l'œuvre aucune modification ». L’article L121-1 dispose que l’auteur jouit du droit au respect de son œuvre et ces atteintes me causent un préjudice.

Je vous mets donc en demeure, dans un délai de 8 jours à compter de la réception de la présente lettre de procéder à une impression dans le respect de l’œuvre et de cesser l’exploitation sous cette forme modifiée sans mon autorisation.

Si, malgré cet avertissement, vous mainteniez en l’état cette exploitation de mon œuvre, je serai au regret de vous faire parvenir une mise en demeure d’indemnisation de mon préjudice moral.

Je vous prie de bien vouloir croire, Madame, Monsieur, en l’expression de mes sincères salutations.

{Mon nom}
{Ma signature}