Résultats de l’enquête, phase 2 : Impacts du COVID-19 sur les revenus des auteurs et autrices du livre

Étude menée du 23 avril 2020 au 6 mai 2020

En raison de l’épidémie du COVID-19 et des mesures prises pour lutter contre la contamination, les revenus des auteurs et autrices du livre, comme ceux de nombreux Français et Françaises, ont été impactés.

Après avoir mesuré les pertes de revenus que représentent les annulations de salons, d’interventions et les décalages des plannings de sorties d’ouvrages lors d’une première phase, la Ligue des auteurs professionnels et ses membres fondateurs (Charte des auteurs et Illustrateurs Jeunesse et États Généraux de la BD) ont mis en place un second questionnaire à destination des auteurs et autrices du livre. Son objectif est de déterminer l’impact de la crise sur leur situation sociale et économique après 8 semaines de confinement : accès ou non aux dispositifs de soutien, pertes de revenus, perspectives d’avenir, sentiment sur la gestion par les pouvoirs publics, etc.

I. Population

L’enquête porte sur 415 auteurs et autrices du livre. Au sein de la population de répondants, 41% sont écrivains ou écrivaines, 33,4% dessinateurs ou dessinatrices, 14,3% scénaristes, 5,5% coloristes, 5,3% traducteur ou traductrice. Si cela ne fait pas partie du champ des activités de création, 0,5% la des répondants ont précisé exercer une activité de correction.

Une importante majorité des répondants (68%) déclare avoir publié plus de dix ouvrages en édition traditionnelle ou en auto-édition.

De même, plus de 80% des répondants (80,7%) déclarent que leur activité de création (dans et hors secteur du livre) constitue leur principale ou unique activité professionnelle.

La population de cette étude est par conséquent très professionnalisée et installée.

II. Pratique des métiers créatifs

Comme c’est souvent le cas pour les auteurs et autrices du livre, une importante proportion des répondants (39,5%) déclare exercer plusieurs métiers de la création dans le secteur du livre.

Une importante proportion des répondants (40%) déclare également tirer une partie de ses revenus artistiques et droits d’auteurs d’au moins une autre activité créative dans un secteur culturel différent de celui du livre.

Ces résultats, ainsi que ceux présentés dans la Figure 4., illustrent la tendance répandue au sein des artistes-auteurs et artistes-autrices à pratiquer plusieurs activités créatives. La population concernée est donc en grande partie et multi-métiers et exerce dans plusieurs secteurs de diffusion.

III. Revenus liés au secteur du livre

La suite de l’étude porte sur les revenus envisagés par les auteurs et autrices du livre entre juin et septembre 2020. Il s’agit habituellement d’une période économiquement creuse pour la profession : peu de parutions (et donc peu d’à-valoir prévus à la sortie des ouvrages le cas échéant), peu de signatures de contrat, peu d’événements culturels.

Les congés d’été pour les maisons d’édition sont souvent synonymes de décalage de paiement à la rentrée, situation préjudiciable pour les auteurs et autrices.

Après un printemps montrant une forte perte de revenus pour de nombreux auteurs et autrices (cf. la première phase de cette étude : pour 45 jours de confinement, les auteurs et autrices perdent en moyenne 2798,46 euros), l’arrivée dans la période estivale creuse, couplée à la crise du COVID-19, a pour conséquence un affaiblissement net des revenus des auteurs et autrices.

23% des répondants déclarent qu’ils ne toucheront rien au cours des quatre mois compris entre juin et septembre 2020, tandis que 22% pensent toucher 1000 euros ou moins. 41% des répondants estiment qu’ils vont gagner entre 1000 et 5000 euros (soit entre 250 et 1250 euros par mois). Seuls 14% des répondants gagneront plus que cette somme au cours des quatre mois estivaux.

En moyenne, les auteurs et autrices répondants ont prévu de toucher 2803,24 euros pour l’ensemble de la période estivale 2020 (soit 700,81 euros par mois). Rappelons que pour 80,7% d’entre eux, la création constitue leur principale ou unique activité professionnelle.

En moyenne, les répondants à cette étude déclarent travailler avec 4 maisons d’édition.

20% des auteurs et autrices ne travaillent qu’avec une seule maison, quand la majorité (56%) travaille avec deux à cinq maisons différente. 21% travaillent avec six éditeurs ou plus, 5% avec plus de dix. 3% des auteurs et autrices professionnels n’ont pas publié à compte d’éditeur et tirent leurs revenus de l’autoédition.

À la date de l’étude, seuls 19% des répondants déclarent avoir reçu les redditions de compte obligatoires de l’ensemble de leurs éditeurs, contre 37% qui n’ont rien reçu d’aucun éditeur et 44% qui ont reçu leurs redditions de certains de leurs éditeurs mais pas d’autres.

Parmi les auteurs et autrices qui ont reçu toutes ou partie de leurs redditions de compte, seuls 27% déclarent avoir reçu l’intégralité des sommes dues pour l’année 2019, contre 38% qui n’ont pas tout reçu et 35% qui n’ont rien reçu à la date de l’étude.

19% des répondants déclarent également qu’au moins une des maisons d’éditions avec lesquelles ils travaillent a annoncé différer les versements attendus par les auteurs.

À l’heure actuelle, la situation économique de nombreux auteurs et autrices de livre est extrêmement précaire. L’arrivée de la période estivale, traditionnellement creuse, sera encore plus durement ressentie que d’habitude en raison de la crise du COVID-19.

En effet, le décalage des offices, le ralentissement de l’activité des maisons d’édition et l’annulation d’événements culturels ont largement amputé les revenus du printemps sur lesquels comptaient les auteurs et autrices de livre (voir Phase 1 de l’étude). Ces premiers chamboulements de la crise ont ainsi empêché nombre d’auteurs et d’autrices de constituer des réserves de trésorerie pour l’été, habituellement peu rémunérateur.

À cela s’ajoutent des pertes impossibles à quantifier à ce stade : contrats annulés ou décalés, absence de ventes d’œuvres, impact des fermetures des librairies sur les ventes, etc. L’ampleur des effets ne pourra s’appréhender que sur le moyen terme.

IV. Accès aux aides et fonds de solidarité

A. Fonds de solidarité DGFIP

Pour la période d’avril 2020, seuls 13% des répondants déclarent pouvoir accéder au fonds de solidarité DGFIP. 42% ne savent pas s’ils y ont accès ou ne sont pas sûrs, et 45% n’y ont pas accès.

Parmi les obstacles à l’accès à ce fonds, ceux qui ont répondu ne pas savoir ou ne pas y avoir accès ont principalement mis en avant :

  • L’inéligibilité pour cause de revenus trop importants sur 2020 par rapport au même mois sur 2019 (50%)
  • Les critères inadaptés (17%)
  • L’impossibilité de remplir le dossier sans numéro de SIRET (15%)

Tous les artistes-auteurs partagent une même particularité : leurs revenus sont par nature aléatoires et différés dans le temps. Ce pour deux raisons :

  • Les revenus issus de l’exploitation de leurs œuvres sont des sommes d’argent qu’ils touchent de façon déconnectée de la période durant laquelle cette œuvre a été créée. Par exemple, au Canada, le choix a été fait de ne pas prendre en compte les revenus issus d’exploitation d’œuvre dans le calcul des montants touchés par les artistes-auteurs, du fait que ces revenus sont en réalité corrélés à une activité professionnelle antérieure.
  • Même si un artiste-auteur est rémunéré pour son acte de création (contrat de commande, prestation…) l’absence de réglementation sur les délais de paiement et les mauvaises pratiques des milieux culturels font que les retards et décalages de paiement sont extrêmement courants.

Faute de réglementation stricte, la rémunération des artistes-auteurs est la variable d’ajustement permanente des secteurs culturels. Il n’est pas rare de voir un auteur ou une autrice de livre toucher un à-valoir avec deux ou trois mois de retard pour un manuscrit rendu à temps.

On comprend que dans ces circonstances, certains auteurs et autrices ont aussi reçu des paiements inattendus liés à une activité professionnelle antérieure, qui ne reflète donc pas l’impact immédiat qu’a la crise sur leurs métiers. Cela ne signifie pas que ces professionnels n’ont pas expérimenté des pertes de revenus nettes en raison de la crise.

Le printemps étant la période de redditions de compte des maisons d’édition beaucoup d’auteurs et autrices touchent une partie importante de leurs revenus tirés de l’exploitation de leurs œuvres durant ces mois.

L’impossibilité de lisser les revenus 2019 sur l’année pour comparer avec le mois de mars 2020 a empêché un grand nombre d’entre eux d’accéder à une aide dont ils avaient besoin le mois dernier.

Pour le mois d’avril 2020, les critères de la DGFIP ont été assouplis : il faut désormais avoir 50% de perte de revenus en avril 2020 par rapport à avril 2019, et il est possible de choisir entre deux modes de calcul : soit comparer les revenus de avril 2019 avec avril 2020, soit faire une moyenne mensuelle des revenus de 2019 pour comparer avec avril 2020.

De nombreux artistes-auteurs restent néanmoins artificiellement exclus du dispositif transversal en raison du paiement différé de leurs rémunérations.

Deux préconisations simples permettraient de résoudre ce problème pour soutenir plus massivement les professionnels en ayant besoin.

Il est à noter que peu d’artistes-auteurs semblent au courant de l’assouplissement des critères, interrogeant sur la mission d’information associée à ce fonds de soutien.

En outre, l’absence de « case » artiste-auteur pour celles et ceux qui déclarent leurs revenus en traitements et salaires (et n’ont de fait pas de numéro SIRET) est un important frein à l’accès à ce fonds pour nombre de professionnels.

B. Fonds de solidarité CNL – SGDL

Pour la période d’avril 2020, seuls 6% des répondants déclarent pouvoir accéder au fonds de solidarité CNL – SGDL. 39% ne savent pas s’ils y ont accès ou ne sont pas sûrs, et 55% n’y ont pas accès.

Parmi les obstacles à l’accès à ce fonds, ceux qui ont répondu ne pas savoir ou ne pas y avoir accès ont principalement mis en avant :

  • L’inéligibilité pour cause de revenus trop importants par rapport à 2019 (34%)
  • Les critères inadaptés (32%)
  • L’impossibilité de cumuler cette aide avec d’autres aides (13%)
  • La complexité du dossier (8%)
  • L’absence de réponse (3%)
  • L’ignorance de l’existence de ce fonds (2%)

On notera que le dispositif CNL – SGDL, supposé être « complémentaire », imite en fait la logique du fonds de solidarité national. Il est donc logique de retrouver le même premier obstacle : l’impossibilité de prouver une perte de revenus sur un mois précis.

Le problème d’accès est également aggravé par les multiples critères et la lourdeur administrative de la démarche, quand le fonds de solidarité ne demande qu’une déclaration sur l’honneur sans justificatifs.

L’accès à ce fonds de solidarité alimenté par l’argent public (CNL) et l’argent des auteurs (via les Organismes de Gestion Collective) s’avère pour l’heure problématique.

V. Sentiments des auteurs et autrices sur la gestion de cette crise pour leur secteur

Lorsque l’on demande leur sentiment général sur la gestion des impacts de la crise sur la population professionnelle des artistes-auteurs, les sentiments qui dominent parmi les répondants sont essentiellement négatifs. On peut constater :

  • Un sentiment d’abandon, de mépris ou d’indifférence par le gouvernement et les pouvoirs publics ;
  • Une inquiétude importante, notamment quant à l’avenir ;
  • Le constat que les spécificités liées à leurs métiers ne sont pas connues ou pas prises en compte ;
  • Un sentiment de gestion catastrophique, désastreuse pour leur profession ;
  • Une sensation de confusion, de flou, l’impossibilité de se projeter dans l’avenir ;
  • Une impression de complexité quant aux solutions proposées et apportées ;
  • Un sentiment de colère et d’injustice ;
  • Un sentiment d’amertume, d’abattement.

Une mince partie des auteurs et autrices éprouve néanmoins de l’espoir, a confiance en l’avenir ou se déclare satisfait des mesures prises jusqu’ici.

L’inquiétude partagée par nombre d’auteurs et d’autrices tient aussi au fait qu’ils ont conscience que les effets de cette crise se feront encore ressentir sur le long terme.

VI. Conclusion

Cette seconde étude confirme le profil socio-économique des auteurs et autrices du livre ayant répondu à l’enquête. Il s’agit de professionnels pour qui la création est l’activité principale. Ils ont souvent plusieurs métiers créatifs et/ou exercent dans plusieurs secteurs culturels.

Pour nombre d’entre eux, la crise a un impact très net sur leurs revenus, au minimum à court et moyen-terme : ils devront vivre avec en moyenne 700,81 euros par mois entre juin et septembre 2020. Aussi, à l’heure d’aujourd’hui, seulement 19% des auteurs et autrices indiquent avoir reçu les redditions de compte de l’ensemble de leurs maisons d’édition. 37% indiquent n’avoir reçu aucune reddition de compte d’aucune maison d’édition.

Pourtant, au moins 45% d’entre eux n’ont pas accès au dispositif de fonds de solidarité national et seulement 6% déclarent pouvoir avoir accès au fonds SGDL/CNL.

L’accès aux différentes aides et fonds est un parcours du combattant faute d’information centralisée, de critères adaptés et d’appréhension de la réalité des métiers de la création (notamment la particularité d’une rémunération par nature différée et aléatoire).

Il apparaît clairement que les auteurs et autrices du livre n’ayant pas d’autre métier ou protection sociale ne sont aujourd’hui pas soutenus à la hauteur de la crise.

L’absence d’identification précise des artistes-auteurs, la méconnaissance de leur activité professionnelle et l’actuelle complexité de leur statut sont un puissant frein à une politique culturelle efficace envers l’ensemble des créateurs et créatrices.

De même, la perception des auteurs et autrices de la gestion les concernant est très négative, témoignant d’un sentiment d’abandon et de la perception d’une grave méconnaissance de leur profession.

Il apparaît urgent de se pencher sur une évaluation et une harmonisation des guichets « sectoriels » existants ainsi que d’assouplir l’accès au fonds de solidarité transversal. De même, il est nécessaire de corriger le plan artistes-auteurs actuel pour distinguer ce qui relève du soutien économique aux créateurs et créatrices, de l’aide sociale et de la compensation des défauts de rémunération.

Annexe – Verbatim

Extraits des réponses des auteurs et autrices interrogés à la question : « Quel est votre sentiment général sur la gestion des impacts de la crise sur la population professionnelle des artistes-auteurs ? »

« Une gestion éclatée, incompréhensible et non adaptée à nos métiers. »

« Amateurisme et inadéquation des mesures proposées. »

« Nous devrions être traités comme des professionnels en crise, et non pas comme des particuliers avec des problèmes de gestion de leurs finances dont on doit valider la bonne conduite. »

« Il nous faut un seul statut , un seul interlocuteur. »

« Je pense que le CNL et la SGDL confondent nos revenus pour lesquels nous payons nos impôts avec les conditions d’aide sociale de la CAF. »

« Un casse-tête administratif. »

« On ne demande pas à un boulanger les revenus de son épouse pour lui verser une aide. »

« Une usine à gaz pensé en dépit du bon sens et, surtout, en dehors des réalités de nos métiers. »

« Les artistes-auteurs ne sont clairement pas prioritaires et les aides ne sont pas assez précises pour être utiles. »

« C’est très humiliant de voir les aides professionnelles plafonnées comme des aides sociales. »

« Comme d’habitude, nous n’existons pas (en pire). »

« Comme tout le reste quand il s’agit de notre profession : infantilisation ! »

« Si le rapport Racine avait été pris en compte et ses recommandations suivies, nous ne connaîtrions pas ce sentiment d’abandon total et ces inégalités absurdes. »

« Je suis perdue, sans la Ligue je serai au courant de rien. »

« J’ai le sentiment que nous sommes une profession invisible, pour le public et surtout pour l’administration et les politiques. »

« Une bonne blague pour l’année de la BD. »

« Pour l’aide du CNL, purement scandaleuse. Du copinage, et un méandre administratif (qui exclut les jeunes et paupérise les femmes) qui vont faire du bien à un petit syndicat inconnu par 90% des artistes-auteurs. »

« Un sentiment de découragement profond. »

« Impressions très pénibles qu’on nous laisse mourir. »

« L’absence de guichet unique et public rend l’obtention des aides impossibles : les critères sont trop sélectifs pour la réalité des auteurs. »

« Plus de cinq semaines pour modifier un formulaire informatique qui nous permettrait de bénéficier de la solidarité nationale, pas de guichet unique… voilà qui en dit long sur le respect de nos métiers. »

« Tant que les artistes-auteures n’auront pas de vrai statut, de protection, nous serons mis de côté, et par ce fait sans voix. »

« La démonstration est flagrante de la non reconnaissance de cette profession. Non identifiée, contradictoire dans ses statuts qui n’en sont pas vraiment. Il est donc impossible de la prendre en compte, politiquement, socialement, fiscalement. »

« L’impression de ne pas avoir de métier. »

« Comme pour le dossier entier de la situation des artistes-auteurs en France, la gestion est catastrophique. »

« Chaotique. Tant qu’il n’existera pas de statut précis pour les artistes-auteurs, cela continuera. »

« C’est le flou artistique, mais j’ai espoir que des solutions se mettent en place. »