Le SNE veut contrôler le dialogue social

Une vidéo de l’assemblée générale du Syndicat national de l’édition est en train d’émouvoir beaucoup d’auteurs et autrices. On y entend le président des éditeurs y tenir des propos sur les organisations professionnelles d’auteurs qui semblent provenir d’un autre siècle. La volonté affichée par le SNE de garder un contrôle tout paternaliste sur le dialogue social confirme l’analyse du Rapport Racine sur les problèmes de représentativité pour les artistes-auteurs. Au vu de cette vidéo, il est clair que l’État doit prendre ses responsabilités au plus vite : seules des élections professionnelles peuvent déterminer librement et démocratiquement qui parle au nom des auteurs et autrices.

Lors de son assemblée générale, le Syndicat national de l’édition a abordé la question de la représentativité des auteurs et autrices du livre et du dialogue social entre les créateurs et les groupes éditoriaux. Un sujet crucial et attendu, dans un contexte de crise sociale, administrative et économique sans précédent pour l’ensemble des artistes-auteurs. Les mesures essentielles du Rapport Racine peinent à émerger malgré un constat documenté et objectif sur la crise que nous traversons. La gestion chaotique des mesures du Covid 19 pour les auteurs et autrices a montré les dysfonctionnements profonds de notre statut, mais aussi la nécessité de la reconnaissance de la profession que nous formons.

Cette intervention de Vincent Montagne, président du SNE, a fait l’objet d’une captation vidéo qui a été relayée hier sur les réseaux sociaux. En voici deux extraits qui ne peuvent être passés sous silence :

Alors que cette fédération de la profession qui nous semblait il y a quelques années évidente, et qui a été mise à mal par ces critiques systématiques des éditeurs, nous nous persistons à dire que c’est notre force c’est notre rôle et notre responsabilité.

Je pense que cet enjeu est devant nous et comme le rapport Racine l’indique, même si les auteurs souhaitent avoir leur propre représentation, nous considérons que… il faudra accueillir cette représentation quand elle aura lieu mais à condition qu’elle ne soit pas une caricature j’ai envie de dire fortement syndiquée ou colorée de ce que les auteurs veulent en réalité.

Ma discussion avec la présidente du CPE [Conseil permanent des écrivains] était intéressante. C’est qu’elle avait son conseil et elle me disait : « Bah… je ne sais pas trop quoi dire parce qu’objectivement, je considère que ce plan [d’aide du gouvernement] est bon pour nous. Mais j’ai peur de perdre la base, qui va continuer à critiquer. »

C’est cette réflexion-là, disons, entre nous. On est très conscients des dissensions qui existent entre les organisations des auteurs mais nous considérons aujourd’hui que dans son ensemble, les quatorze associations qui sont au CPE, sous forme de… sont plus raisonnables que d’autres, disons. Et je pense qu’il faut les soutenir et dialoguer avec eux et c’est un des axes de ce que nous souhaitons faire dans les mois à venir.

Et peut-être qu’il y a une prise de conscience au Ministère que les positions excessives de certains auteurs et de la Ligue en particulier rend toute discussion impossible. Et je crois que cette prise de conscience, elle est récente, elle date de quelques semaines.

Et je crois que nous devons prendre acte aussi que même s’il y a devant nous la problématique de l’élection des auteurs. Et un peu la distorsion dans la construction dans le Ministère d’une distorsion entre les professions et les acteurs de ces professions. Il faut essayer, à mon sens, de continuer à dialoguer avec le CPE. Ne serait-ce que pour que les votes dans les nouveaux… dans la nouvelle organisation des auteurs soient en faveur de la SGDL et du CPE. Montrer qu’il y a un dialogue avec les éditeurs et qu’il y a de véritables avancées.

La stratégie donnée par le SNE est très claire : le refus catégorique de voir apparaître une forme de démocratie sociale pour les auteurs et autrices. De façon franche, le président du Syndicat national de l’édition révèle la volonté de privilégier le Conseil Permanent des Écrivains comme interlocuteur du dialogue social, jugé plus « raisonnable ». Il s’oppose également à une représentation des auteurs et autrices trop « syndiquée et colorée », même si celle-ci devait être choisie par la voie des urnes, par les auteurs et autrices eux-mêmes. Enfin, il est question de manipuler le dialogue social en élaborant une stratégie visant à « montrer des avancées » pour « ne serait-ce que les votes dans la nouvelle organisation des auteurs soient en faveur de la SGDL et du CPE. »

Cette intervention du SNE montre également le déni complet de l’indignation vécue par les auteurs et autrices. Ces derniers seraient forcés à rejoindre un mouvement de contestation qui ne serait pas de leur propre volonté :

Tous les auteurs viennent voir leurs éditeurs en disant en gros c’est pas vous, on est plutôt obligé de suivre, on l’a vu à Angoulême où les auteurs les plus sympathiques ont levé le crayon parce qu’ils ne pouvaient pas faire autrement.

Ces propos tenus interpellent vivement le conseil d’administration de la Ligue des auteurs professionnels. Ils ne sont pourtant pas une surprise : si des auteurs et autrices investis depuis longtemps dans les instances de dialogue ont décidé de créer la Ligue des auteurs professionnels, puis de quitter le Conseil Permanent des Écrivains, c’est qu’ils sont parfaitement conscients que le système actuel est profitable au Syndicat national de l’édition. Ce dernier a tout intérêt à choisir des interlocuteurs non syndicaux et à refuser l’intervention de l’État ou toute régulation sous le prisme du code du travail.

Néanmoins, nous ne pouvons rester sans réagir face à des propos aussi graves, qui attestent à la fois d’un déni complet de la réalité sociale des auteurs et autrices, d’une tentative d’usurpation de leurs voix et d’un paternalisme qui n’a plus sa place au XXIe siècle.

La Ligue des auteurs professionnels et bien d’autres organisations professionnelles sont pleinement ouvertes au dialogue social avec le Syndicat national de l’édition. Mais comme l’a attesté le rapport Bruno Racine, aujourd’hui, ce dialogue social ne peut avoir lieu dans des conditions équilibrées, ce qui nous conduit à une impasse. Les accords CPE/SNE de 2014 n’ont pas empêché la dégradation rapide et brutale de nos revenus, et pour cause : ils ne protègent pas nos conditions de création. Aussi, les artistes-auteurs sont privés à ce jour d’une branche professionnelle

Le dialogue social est une composante essentielle de la démocratie. Pour rappel, la France s’est engagée, en ratifiant la convention n°87 de l’Organisation Internationale du Travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, à « prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d’assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical ». Le Conseil constitutionnel a bien rappelé que tout travailleur doit pouvoir participer, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective de ses conditions de travail1. Tout comme ce principe de valeur constitutionnel, la négociation collective a été reconnue comme un droit fondamental au niveau du droit de l’Union européenne2.

Finalement, ces déclarations sont un aveu : celui de la connaissance de la déconnexion entre la représentation actuelle des auteurs et autrices du livre reconnue par le SNE et « la base », comme elle est appelée. La négation de la démocratie sociale des auteurs et autrices participe activement à la fragilisation de leurs conditions économiques et sociales.

Les groupes éditoriaux ne peuvent plus nier aujourd’hui que l’acte de création est un travail qui engendre une œuvre, et donc une propriété. Nous ne laissons plus invisibiliser cette première phase de création qui est le cœur battant de notre activité. Nous ne laisserons plus confondre la création d’une œuvre et l’exploitation d’une œuvre.

Nous sommes les créateurs et créatrices à l’origine de l’industrie du livre, et nous revendiquons le droit, comme toutes les professions, à des conditions de travail encadrées et un dialogue social légitime.

À ce titre, la Ligue des auteurs professionnels est pleinement ouverte à un dialogue avec le Syndicat national de l’édition. Mais aujourd’hui, la priorité est de rendre aux auteurs et autrices leurs voix : les laisser décider par eux-mêmes, à travers des élections professionnelles, de leurs représentants. Ce moment historique ne saurait leur être volé.

La Ligue des auteurs professionnels est convaincue que des avancées majeures pour davantage d’équilibre entre auteurs et autrices et maisons d’édition pourraient avoir lieu, si l’écosystème actuel était enfin clarifié et les rapports de force rééquilibrés. Nous nous tournons donc vers le Ministère de la Culture, mais aussi le Ministère du Travail : quand reconnaîtrez-vous les créateurs et créatrices de ce pays comme de véritables professionnels ?

Notes