Compte-rendu de la réunion du 25 septembre 2020

En février dernier paraissait le Rapport Racine, et avec lui la promesse d’un plan artistes-auteurs ambitieux pour sortir nos professions de l’angle mort des politiques culturelles. Cette analyse de 140 pages, fruit de longs mois d’auditions et de travaux d’experts, pointe la non représentativité des artistes-auteurs comme la source systémique des graves problèmes que nous rencontrons. Absence d’un statut clair, non recours sociaux, réformes chaotiques et non concertées, faiblesse face aux exploitants de nos œuvres… La non reconnaissance de notre profession se traduit par un dialogue social déstructuré et peu efficace, où le droit commun est absent. A la lumière de ces enjeux, les réunions de travail promises par le Ministère de la Culture sur la notion de représentativité sont d’importance.

compte rendu de la réunion du 25 septembre 2020 – groupe sectoriel “AUDIOVISUEL”

Ordre du jour du ministère :

  • Proposition de priorisation des différents chantiers inscrits à l’agenda des prochains mois en distinguant les enjeux de court terme et ceux de moyens terme ;
  • La question de la représentativité des organisations d’artistes-auteurs : identification des finalités et modalités possibles.

Organisations présentes :

Dans l’attente des listes complètes communiquées par le ministère de la culture sur la composition des groupes de travail.

Dans l’attente de mesures concrètes

8 mois après la sortie du rapport Racine, les mesures préconisées par ce dernier sont toujours en attente d’une mise en application. Le décret du 28 août 2020 a permis des avancées significatives sur le champ du régime artistes-auteurs, mais la question de la représentativité et donc de la gouvernance de ce dernier reste en suspens et génère de nombreuses tensions. Durant la réunion du travail, chaque association, syndicat et organisme de gestion collective a dressé une liste de ses propres priorités pour les artistes-auteurs. Toutes les problématiques évoquées sont déjà bien connues de l’État. Nous rappelons qu’un diagnostic limpide et pragmatique a déjà été posé. La question qui demeure est la suivante : avec le remaniement ministériel, la nouvelle Ministre de la culture Roselyne Bachelot va-t-elle s’emparer du rapport Racine comme ligne de conduite pour des actions concrètes à venir en faveur de la profession ? Les artistes-auteurs attendent depuis des années malgré des cris d’alarme continus, et la situation sociale et économique ne fait que s’aggraver. Des solutions concrètes existent. Nous rappelons les propositions pour relever les défis du rapport Racine dans ce document.

Une approche sectorielle qui pose question

De nombreuses organisations professionnelles d’artistes-auteurs étant composées de créateurs et créatrices exerçant leurs activités dans plusieurs secteurs de diffusion, l’approche sectorielle a révélé la similitude des problématiques remontées peu importe les groupes de travail. Portail Urssaf défaillant, non recours sociaux dramatiques, nécessité de revaloriser les rémunérations, contrat de commande… les artistes-auteurs étant unis par un même régime de sécurité social et étant toutes et tous des auteurs au sens du Code de la Propriété Intellectuelle, il est logique que les doléances identiques se retrouvent dans chaque groupe.

L’absence du ministère du travail

Nous déplorons de nouveau l’absence du ministère du travail. Le dialogue social relève du champ de compétence du ministère du travail, et nous souhaitons que la profession des artistes-auteurs cesse d’être mise à part de toutes les considérations et lois qui s’appliquent dans ce pays en matière de dialogue social. Aussi, nous demandons solennellement que le Ministère du Travail soit présent et contribue à cadrer ces discussions.

La question du contrat de commande

Parmi les sujets qui sont venus pêle-mêle sur la table des discussions en introduction, le contrat de commande a cristallisé les débats. Certaines associations d’auteurs ou organisme de gestion collective se sont opposés à sa mise en place, au prétexte que l’encadrement de nos conditions de travail serait une mise en danger du droit d’auteur. Cet argument est parfaitement infondé. Nous tenons à éclaircir un point juridique fondamental : distinguer le paiement de l’acte de création et de la cession des droits ne retire aucunement la titularité de droit d’auteur aux artistes-auteurs !

Il existe une incohérence frappante du droit qui protège l’auteur parce qu’il est la partie faible du contrat d’exploitation sans toutefois prévoir un cadre juridique pour le protéger davantage au moment de la création, en amont de la diffusion d’une œuvre. Ce moment – l’acte de création – est pourtant le cœur battant de l’activité des auteurs et autrices. Il ne s’agit pas de révolutionner le droit existant, mais plutôt de le faire appliquer !

L’article 1710 du Code civil prévoit que « le louage d’ouvrage est un contrat par lequel l’une des parties s’engage à faire quelque chose pour l’autre, moyennant un prix convenu entre elles ».

Par transposition au secteur du livre ou de l’audiovisuel par exemple, le louage d’ouvrage est un contrat par lequel un auteur ou une autrice s’engage à écrire une œuvre pour un éditeur ou un producteur, moyennant un prix convenu entre eux.

Au titre de la commande, l’auteur s’engage à écrire une œuvre et à la livrer à l’entreprise dans un délai convenu. Il s’engage aussi à faire des modifications, impératif qui existe déjà dans les contrats de cession actuels, que ce soit dans le livre ou l’audiovisuel.

Au titre de la cession de droits, l’auteur s’engage à céder à l’éditeur les droits patrimoniaux nés sur l’œuvre qu’il a créée.

Actuellement, seul le second contrat est rémunéré.

Sans aucun encadrement, on voit se multiplier des contrats de cession mélangeant ce qui relève de la cession de droits à des impératifs qui devraient d’une façon ou d’une autre relever légalement du Code du travail, y compris pour un travail indépendant. Les auteurs se retrouvent souvent dans des situations administratives ubuesques, dans la confrontation entre ce qui relève de la propriété et/ou du travail. Un exemple : une autrice enceinte a droit en pratique à des indemnités pour son congé maternité, mais son contrat d’édition peut imposer des dates de rendu sur la même temporalité. Quel droit prévaut : le droit du contrat ou le droit social ? En l’absence de cadre et de régulation, les conditions économiques et sociales des auteurs se dégradent de façon inéluctable et rapide, que ce soit en termes d’à-valoir (avance sur droits), de rémunération proportionnelle ou de non-recours sociaux.

Auparavant, seules les rémunérations versées à l’auteur en contrepartie de la cession de droits étaient conçues comme des rémunérations principales dans le régime artistes-auteurs. Le décret du 28 août 2020 vient d’ouvrir une porte en reconnaissant plus largement les rémunérations issues de la conception des œuvres – non pas uniquement de leur exploitation – comme entrant dans le champ du régime. Jusqu’ici, cette absence d’encadrement du moment de l’acte de création a permis le développement des avances ou à-valoir, un mode de rémunération très contestable juridiquement qui invisibilise le travail créatif et paralyse l’obtention de redevances du fait de mécanismes de compensations.

Partant du constat que les auteurs et autrices sont les parties faibles des contrats de commande et de cession, la Ligue milite pour mettre en place un véritable droit de la négociation collective qui permettrait aux auteurs et autrices d’être plus forts lors de la signature de leurs contrats. Cela demande la reconnaissance d’une véritable branche professionnelle pour l’ensemble des créateurs et créatrices et donc d’une représentativité clarifiée.

Des organisations professionnelles pointées comme non légitimes pour participer au débat

En préambule de la réunion, la Ligue et d’autres organisations professionnelles ont dû essuyer des critiques d’autres organisations sur leur présence dans le groupe de travail “audiovisuel”. Cette introduction était à elle seule l’illustration du document de la Guilde des scénaristes, L’impossible dialogue social. Faute d’encadrement légal, la représentativité de la profession n’est pas établie. La Ligue rappelle que ses adhérents sont composés d’auteurs et d’autrices du livre dont les activités de création s’exercent en simultané dans de nombreux secteurs de diffusion. 10% des adhérents de la Ligue sont scénaristes d’audiovisuel, ce qui représente plus de 200 individus, mais surtout les auteurs et autrices de livre voient leurs droits audiovisuels systématiquement captés par les maisons d’édition. Aussi, les auteurs et autrices de la Ligue sont confrontés au quotidien à des problématiques liées au marché de l’audiovisuel : écriture, cession de droits, droit moral, etc. Le ministère de la culture nous a informé en préambule les critères de présence aux groupes de travail : avoir des adhérents exerçant des métiers dans le secteur économique concerné. Aucun autre critère. Comme l’indiquait le rapport Racine, en absence de représentativité entérinée, nul ne peut présumer de quelle organisation d’auteurs est représentative de quoi faute d’un écosystème à la cartographie des intérêts clarifiés par la voie légale et démocratique.

Qu’est-ce qu’un syndicat ?

Dans les groupes de travail du livre comme de l’audiovisuel, le point brûlant est la question de quel type d’organisation d’auteurs peuvent prétendre représenter les intérêts des artistes-auteurs. Nous appelons à une reprise en main de notions fondamentales sous le prisme du droit commun. Il faut distinguer le type de structure selon les intérêts qu’elle défend, afin d’éviter tout conflit d’intérêt. Il faut aussi distinguer les différents champs sur lesquelles s’appliquent le dialogue social :

  • Droits individuels et droits collectifs
  • Régime de sécurité sociale
  • Négociation interprofessionnelles pour encadrer les conditions de travail des artistes-auteurs

Nous constatons qu’autour de la table sont présentes de nombreuses structures représentant des métiers très divers, dans des secteurs fins : clarifier la représentativité n’empêche en rien la diversité, au contraire ! En revanche, il s’agit bien pour chaque organisation de clarifier l‘objet de sa mission au service des artistes-auteurs. Le terme de “syndicat” prête à confusion car il est peu utilisé dans notre écosystème qui découvre la démocratie sociale.

Alors qu’est-ce qu’un syndicat ? Une organisation syndicale ou professionnelle ne se définit donc pas par sa forme juridique, mais par son objet : la défense exclusive des intérêts d’une profession. Peu importe qu’elle prenne la forme d’une association régie par la loi du 1er juillet 1901 ou par la loi du 21 mars 1884. C’est l’objet de l’activité de l’entité qui permet la qualification d’organisation syndicale ou professionnelle et de la distinguer d’autres groupements. Ces organisations ne défendent pas uniquement leurs adhérents, mais tous les professionnels visés par leurs statuts, qu’ils soient adhérents ou non. C’est ce qui leur permet d’ester en justice pour la profession.

Pourquoi en France, le dialogue social est réservé aux syndicats ? Justement pour éviter les conflits d’intérêt. Du fait de ce paysage non clarifié, il y a encore peu de temps, les pouvoirs publics pouvaient estimer que le Syndicat National de l’édition “représentait les auteurs”. Qui imaginerait dans un autre secteur un syndicat d’employeurs représenter les salariés ? Même si les artistes-auteurs ne sont pas salariés, nul ne peut ignorer le lien de dépendance qui existe entre eux et les exploitants de leurs œuvres et le fait qu’ils sont parti faible du contrat. De même, quand une structure cumule de nombreux objets et pas exclusivement la défense des intérêts de la profession s’exercent forcément des tensions internes, conflits ou divergences d’intérêt. Le Rapport Racine pointait que le chaos qui régnait dans notre écosystème était la raison systémique à l’impossibilité actuelle à faire émerger un véritable statut pour les artistes-auteurs. Cette clarification est donc une priorité.

Conclusion

Pour l’heure, les groupes de travail s’apparent davantage à des groupes de parole. Les mêmes thématiques et points sensibles reviennent selon les secteurs de diffusion. La raison est simple : peu importe la façon dont nos œuvres sont diffusées, nous sommes toutes et tous des créateurs d’œuvres ! Nos métiers ont des particularités mais pour enfin obtenir un véritable statut, nous devons nous concentrer sur nos points communs entre artistes-auteurs et organisations professionnelles ayant la même mission, à savoir défendre exclusivement les intérêts d’une profession. L’obtention d’un statut protecteur pour un groupe social n’empêche en aucun cas l’expression de la spécificité des métiers. À titre d’exemple, le statut des intermittents du spectacle permet tout à fait à chaque corps de métiers de représenter ses spécificités. Si cette notion même de “profession” fait encore débat, c’est bien que nous avons un cap historique à franchir. À la lumière des confusions et interrogations de beaucoup d’associations d’auteurs, le meilleur moyen de cadrer ces travaux serait d’y faire intervenir des rappels élémentaires du droit, d’où la nécessité de l’intervention du ministère du travail. Nous militons pour l’application des préconisations du rapport Racine, pour un écosystème lisible et clarifié à l’abri de tout conflit d’intérêt, et ce afin que les artistes-auteurs accèdent enfin, après des siècles, à un véritable statut les reconnaissant comme les professionnels de la culture qu’ils sont.

Vous pouvez retrouver ici les contributions que la Ligue a fait parvenir au Ministère de la Culture :