Chroniques juridiques de la Ligue n°2 : un contrat annulé pour cause d’invalidité

La Ligue des auteurs professionnels effectue une veille juridique constante des jurisprudences concernant les droits des auteurs et autrices. C’est une opportunité de vous présenter des affaires intéressantes et de rappeler des règles d’or en matière de droit, afin de mieux vous orienter dans l’écosystème éditorial. Ce second épisode nous permettra de revenir sur des règles fondamentales qui entourent le contrat d’édition.

Chroniques juridiques la ligue

Épisode 2

La validité du contrat d’édition

Le contrat d’édition doit prévoir
le nombre d’exemplaires minimum constituant le premier tirage
ou le versement d’un minimum garanti,
à défaut de quoi, il est nul !

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En 2017, une autrice a signé un contrat avec son éditeur pour une durée de 10 ans avec faculté de tacite reconduction. Elle lui cédait “le droit de reproduire, publier et exploiter l’oeuvre, sous forme imprimée et numérique”.

Deux ans plus tard, elle assigne son éditeur pour faire juger la cession de ses droits nulle et sans effet juridique et demande :

  • le retrait des œuvres sur tous sites marchands et établissements physiques à compter du jugement sous peine d’astreinte ;
  • la somme de 10000 euros au titre des dommages et intérêts ;
  • la publication du jugement sur le site de l’éditeur.

Pour convaincre les juges, l’autrice tente alors de démontrer que le contrat souffre d’un déséquilibre manifeste le privant ainsi de validité. Elle réunit alors un certain nombre d’indices :

  • une durée minimale de 10 ans, renouvelable par tacite reconduction ;
  • une cession exclusive de tous ses droits patrimoniaux d’auteur à l’éditeur, lequel disposait pour sa part de la faculté de céder à son tour lesdits droits sans autorisation préalable et écrite de l’auteur ;
  • un délai maximum de correction pour l’auteur des épreuves renvoyées par l’éditeur, fixé à une semaine ;
  • un engagement de l’auteur de proposer en priorité ses œuvres à venir à l’éditeur, sans limitation à un genre spécifique, pour une édition aux mêmes conditions que celles du contrat litigieux ;
  • un délai de préavis de résiliation imposé à l’auteur, fixé à 1 an ;
  • une absence d’engagement de l’éditeur relatif au nombre d’exemplaires imprimés
  • l’envoi d’un unique exemplaire gratuit à l’auteur ;
  • l’absence d’à-valoir au bénéfice de l’auteur.

Elle fait ensuite état des conditions difficiles dans lesquelles est intervenue la publication de son ouvrage :

  • les délais très courts de validation sollicités par l’éditeur ;
  • les fluctuations des dates de parutions annoncées, du fait de l’éditeur ;
  • le refus de l’éditeur de lui faire connaître la biographie qu’il allait rédiger d’elle ;
  • l’absence de réaction concrète de l’éditeur à la présence de son oeuvre sur deux sites de téléchargement illicites ;
  • l’absence de réponse à ses demandes successives relatives au nombre d’exemplaires vendus ;
  • l’absence d’un exemplaire, commandé par ses soins, dans le cadre de la reddition des comptes de mai 2018 ;
  • l’absence de remise de l’œuvre éditée à la gagnante d’un concours et la carence de l’éditeur relative à l’organisation d’autres concours.

Les juges accueillent sa demande et décident alors de l’annulation du contrat de cession. Leur décision est très intéressante, car elle est très pédagogique.

Ils rappellent d’abord une règle essentielle prévue par l’article L 132-10 du Code de la propriété intellectuelle : « Le contrat d’édition doit indiquer le nombre minimum d’exemplaires constituant le premier tirage. Toutefois, cette obligation ne s’applique pas aux contrats prévoyant un minimum de droits d’auteur garantis par l’éditeur. »

La rémunération de l’auteur constitue la contrepartie de la cession de ses droits donc l’absence d’un nombre minimum d’exemplaires ou d’un à-valoir constitue un cas de nullité du contrat. Les juges font observer que « l’à-valoir est un moyen pour l’auteur de vivre de son métier »…

Ils rappellent un usage professionnel qui établit que le montant de l’à-valoir versé par l’éditeur à l’auteur doit couvrir, au minimum, l’équivalent des droits d’auteurs dus sur la moitié du premier tirage, ou, en cas d’édition de poche, sur l’intégralité de ce tirage.

Enfin, ils soulignent que, compte tenu des spécificités de l’impression à la demande auprès des libraires, l’éditeur ne s’engage pas à imprimer un nombre minimum d’exemplaires… Dès lors faute d’à-valoir garanti, le contrat est nul.

Les juges signalent également d’autres anomalies au sein du contrat et notamment l’absence de mentions distinctes et spécifiques concernant l’édition numérique. En effet, ils rappellent que la nullité de la cession des droits numériques, visée par l’article L132-17-1 du Code de la propriété intellectuelle, est effectivement encourue compte tenu de l’absence de mentions distinctes au contrat concernant l’édition numérique. Enfin, ils remettent en cause la validité du pacte de préférence à défaut de limitation en genre et en nombres d’ouvrages !

 

La décision est au lien suivant : Tribunal de Lille. Le tribunal déclare alors nulle la cession et contrefaisante l’exploitation de l’œuvre en version imprimée et numérique, faute d’autorisation valable de l’autrice ;

Il condamne l’éditeur au retrait des œuvres sur tous sites marchands et établissements physiques, dans le délai de 45 jours à compter du jugement et sous peine d’astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé ce délai, pendant 3 mois ;

Il condamne l’éditeur à justifier, au moyen d’un document certifié par un expert-comptable, de l’état des ventes et des stocks de l’ouvrage.

Il condamne l’éditeur à payer à l’autrice, au titre de l’exploitation principale de l’ouvrage sous forme imprimée, le droit proportionnel progressif suivant, calculé sur le prix de vente public hors taxe (PPHT) de l’ouvrage :

  • 6 % du 1er au 100e exemplaire ;
  • 8% du 101e au 15 000e exemplaire ;
  • 10% au-delà ;

Sous forme numérique : 20% du prix de vente public hors taxe (PPHT) des e-books ;

Enfin, il condamne l’éditeur à payer à l’autrice la somme de 1000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice de perte de chance et moral, augmentée des intérêts légaux à compter du présent jugement ;

 

Cette affaire est l’occasion de rappeler trois règles d’or aux auteurs et autrices :

Règle d’or n° 1 : Votre contrat d’édition ne sera valable que s’il précise soit le nombre d’exemplaires minimum constituant le premier tirage, soit un minimum garanti, autrement appelé “à-valoir”. Votre rémunération est considérée comme un élément déterminant de votre engagement. Aussi vous devez être capable de repérer cette cause classique d’annulation du contrat de cession.

Règle d’or 2 : Lorsque vous cédez vos droits pour l’édition d’un livre sous forme imprimée, cela n’implique pas simultanément une cession des droits pour l’édition du livre sous forme numérique. Depuis une ordonnance de 2014, l’art. L. 132-17-1 prévoit que les conditions relatives à la cession des droits sous une forme numérique doivent être déterminées dans une partie distincte du contrat, à peine de nullité de la cession de ces droits. Il apparaît plus équitable d’envisager distinctement les deux contrats. Imaginons que l’œuvre imprimée se soit bien vendue, alors vous serez plus fort au moment de la négociation de l’exploitation de l’œuvre sous forme numérique.

Règle n° 3 : Vous devez vérifier que votre droit de préférence est accordé de manière limitée. Par principe, retenez que vous n’avez pas le droit de céder globalement les droits sur vos œuvres futures ! Toutefois, le Code de la propriété intellectuelle prévoit une possibilité contractuelle d’accorder à l’éditeur une sorte de droit de préemption sur les œuvres que vous n’avez pas encore créées. Attention : vous pouvez accorder un droit de préférence à un éditeur, mais ce pacte de préférence doit être limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat pour la première œuvre ou pour un délai de cinq années à compter du même jour.