Communiqué de la Ligue
Paris, le 11 octobre 2023
Nous voulons un dialogue social intègre et conforme aux principes fondamentaux du droit de la représentation collective, placé sous l’égide de médiateurs indépendants et expérimentés.
Ce vendredi 6 octobre, les représentants des auteurs et autrices et ceux des éditeurs et éditrices devaient se retrouver au ministère de la Culture, pour une réunion dédiée à l’encadrement de l’à-valoir, mais la séance a été levée au bout de 15 minutes par Madame Florence Philbert, directrice générale des médias et des industries culturelles (DGMIC).
Juste avant la réunion, le ministère avait d’abord tenté d’empêcher aux représentants de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse d’être assistés par leur avocat, Me Denis Goulette. Le ministère a finalement abandonné cette intention et laissé Me Denis Goulette assister à la réunion, qui a tourné court, parce que certains membres des collèges auteurs et éditeurs se sont offusqués de sa présence et ont préféré quitter la table, là encore sans aucune justification juridique précise.
Solidaires, les représentants de la Ligue et de la Charte sont restés en rappelant que face aux juristes salariés des groupes éditoriaux, les représentants des auteurs doivent pouvoir disposer des ressources nécessaires pour assurer un dialogue pertinent et équilibré, en embauchant des juristes à temps plein ou, à défaut, en faisant appel à des avocats pour assurer la conformité avec le cadre légal et réglementaire.
Nous avons tenté de trouver des solutions constructives dans l’intérêt des membres de la profession que nous défendons, mais nos partenaires ont décidé d’opter pour la politique de la chaise vide, intolérable quand on sait que le sujet de la rémunération des auteurs et autrices ne peut plus attendre d’être traité.
La réunion a été ajournée, sans aucune justification !
Il faut acter que l’organisation de notre dialogue social par Madame la Ministre de la Culture révèle des erreurs et problèmes cruciaux de méthode. Nous perdons du temps et ne traitons pas de ce qui nous est essentiel : la situation de précarité croissante des auteurs et autrices du livre.
Premier constat : le ministère de la Culture n’est nullement indépendant au sens des principes généralement établis en la matière.
- Soit il ne fait rien : face à la concentration des méga groupes d’édition, de distribution et de diffusion et face à la surproduction des ouvrages publiés à but essentiellement financier.
- Soit il fait : mais généralement dans l’intérêt des éditeurs (suppression des taxes éditeur dans le cadre du financement du CNL en 2019, mise à l’écart réglementaire des règles du droit du travail à propos des directeurs de collection en 2020, etc.).
Deuxième constat : le ministère de la Culture n’est pas un médiateur déterminé à faire émerger des progrès pour les auteurs et autrices, en n’écoutant pas la revendication principale de nos membres, telle que pointée par les instances européennes.
- Le processus actuel ne nous permet pas d’avancer sur la question de la rémunération appropriée et proportionnelle en regard du partage actuel dans l’ensemble de la chaîne de valeurs du livre (problème rencontré également par d’autres acteurs : petits éditeurs, libraires, etc.),
- Le processus actuel nous empêche même de travailler sur l’absence de rémunération du travail de création acquise sans amortissement possible, conformément au droit civil.
Troisième constat : le format des négociations n’arrive pas à dépasser l’asymétrie entre les parties.
- Une asymétrie de moyens : les modalités de financement actuelles des syndicats ne permettent pas de recruter un salarié juriste à temps plein, et l’expérience de la dernière réunion souligne que la présence d’avocats n’est pas tolérée par certaines parties.
- Une asymétrie géographique : entre les parties établies en région parisienne et les autres, pour qui la participation aux réunions de concertation est bien plus coûteuse en temps et en organisation.
Ce départ prématuré de la table des négociations nous pousse à agir autrement, et à trouver d’autres pistes.
Voilà pourquoi nous exigeons de cesser de perdre du temps et de réorganiser notre cadre de travail à la lumière de cette expérience collective !
Sur la forme, plus aucune pratique hasardeuse dans l’organisation des cycles de négociations interprofessionnelles ne sera tolérée.
Tant qu’il n’organisera pas d’élections professionnelles pour déterminer qui doit représenter les auteurs et autrices du livre, le ministère de la Culture n’a pas à décider de manière arbitraire et sans aucune base légale qui peut parler au nom des auteurs et autrices (et cela est valable aussi pour les éditeurs et éditrices).
- Nous avions condamné l’absence du CAAP et de la Fédération des éditeurs indépendants au tour de table malgré leur expertise et la pertinence de leurs réflexions. Nous exigeons qu’ils soient intégrés à la table des prochaines concertations interprofessionnelles.
- Nous demandons une équipe de médiation indépendante et expérimentée qui apportera la garantie d’un dialogue social serein, intègre et conforme aux droits collectifs les plus élémentaires.
Sur le fond, les représentants de la Ligue demandent de traiter l’urgence absolue de parler de l’invisibilisation du travail des auteurs et autrices, responsable de leur précarisation.
Non, la Ligue ne veut pas enfermer les auteurs/autrices dans un contrat de travail ! Tout au contraire, elle veut que les règles de droit civil, communes à tous les professionnels et édictées pour les protéger pendant leurs phases de création, de recherche, s’appliquent aussi aux auteurs et autrices.
Il s’agit de réfléchir à l’encadrement du travail indépendant afin de garantir qu’il soit rémunéré en tant que tel, étanche et décorrélé de toute exploitation des droits, qu’il permette à une autrice de prendre son congé maternité sans devoir engager sa responsabilité juridique quand elle ne remet pas son manuscrit à temps !
Le droit d’auteur ne s’intéresse qu’à l’œuvre des auteurs et autrices, le droit civil s’intéresse à leurs corps et au prix de leur investissement et de leur travail : pourquoi refuser qu’il s’applique ?
- Nous demandons une discussion sur le travail de la création, son invisibilisation par le versement d’avances amortissables et remboursables, la crise financière que traversent nos membres depuis la crise Covid et face au cataclysme créé par les IA génératives de contenus synthétiques venant en concurrence déloyale et directe avec les auteurs et autrices.
Enfin, les représentants de la Ligue appellent à des mesures politiques fortes pour réguler les anomalies du secteur du livre et assurer la pérennité de la profession d’artiste-auteur.
- Nous demandons une politique de régulation des méga groupes en position ultra dominante et la consécration d’un vrai droit de retrait en cas de volonté de l’auteur de sortir d’un groupe qu’il ne jugerait plus en harmonie avec ses valeurs.
- Nous demandons une vraie contribution des distributeurs diffuseurs comme en musique ou en cinéma. Leur part du gâteau n’est jamais interrogée. Ils sont rémunérés à chaque mouvement du livre et n’ont que faire des problématiques des auteurs. Un taux sur leurs recettes devra être mis en place.
- Nous demandons que les auteurs et autrices soient une bonne fois pour toutes associés aux fruits de la croissance des entreprises d’édition. Les auteurs et autrices doivent bénéficier de cette croissance, car les capitaux issus de ces entreprises découlent de leur investissement et de leur travail.
Nos représentants veulent encore s’investir mais c’est à la seule condition d’une reprise d’un dialogue social digne de l’État de droit et conforme aux intérêts de la profession que nous défendons.