Le pacte de préférence dans le contrat d’édition

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Que dit la loi ?

Article L. 132-4 du Code de la propriété intellectuelle :

«Est licite la stipulation par laquelle l’auteur s’engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l’édition de ses œuvres futures de genres nettement déterminés.
Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d’édition conclu pour la première œuvre ou à la production de l’auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour.
L’éditeur doit exercer le droit qui lui est reconnu en faisant connaître par écrit sa décision à l’auteur, dans le délai de trois mois à dater du jour de la remise par celui-ci de chaque manuscrit définitif.
Lorsque l’éditeur bénéficiant du droit de préférence aura refusé successivement deux ouvrages nouveaux présentés par l’auteur dans le genre déterminé au contrat, l’auteur pourra reprendre immédiatement et de plein droit sa liberté quant aux œuvres futures qu’il produira dans ce genre.
Il devra toutefois, au cas où il aurait reçu ses œuvres futures des avances du premier éditeur, effectuer préalablement le remboursement de celles-ci. »

Explication de la notion

Le pacte de préférence est une clause insérée dans le contrat d’édition qui engage l’auteur à présenter ses futures œuvres à l’éditeur. Ce pacte est dépendant du contrat d’édition : si le contrat est résilié le pacte le sera aussi mais inversement la nullité du pacte n’emporte pas nullité du contrat d’édition.

Le pacte doit réunir plusieurs conditions pour être valide.

Premièrement, les œuvres futures doivent être prévues dans un genre déterminé. Par exemple, des textes de poésie, pièces de théâtre, nouvelles…Un auteur qui s’engage pour des romans de science-fiction n’est pas dans l’obligation de présenter à son éditeur un essai sociologique qu’il aurait écrit, même pendant la durée du pacte.

Les juges reconnaissent une interprétation restrictive des pactes, c’est-à-dire que tout ce qui n’est pas explicitement prévu ne peut être ajouté et on ne peut pas faire une interprétation extensive des obligations du pacte.

Deuxièmement, le pacte doit être limité. Il peut être limité en nombre d’œuvres ( sous un maximum de 5 œuvres) ou sur la durée (dans la limite de 5 années). Toutes clauses qui iraient au-delà de ces maximums seraient considérées comme nulles et ne pourraient être opposées à l’auteur.
Attention, il est important de rappeler que ces deux maximums sont alternatifs et non cumulatifs. Un pacte ne peut prévoir une limitation de 5 œuvres sur 5 ans.
Soit on a une limitation de 5 œuvres mais qui sera dans ce cas sans limite de temps, l’auteur peut mettre 20 ans à réaliser ses œuvres, l’éditeur ne peut le forcer à les produire.
Soit la limite est de 5 ans mais dans ce cas, l’éditeur ne peut forcer l’auteur à produire. Il est tout à fait possible que l’auteur ne réalise aucune œuvre pendant ces 5 années.

Dans le cadre d’un pacte de préférence, l’auteur reste libre de créer ou non, il ne s’agit pas d’un contrat de commande, la réalisation des œuvres est hypothétique. L’éditeur ne peut forcer ou réclamer des œuvres à l’auteur dans le cadre de ce pacte.

Exemple de clause interdite

«Les parties concluent un pacte de préférence portant sur des romans de science-fiction, que l’auteur créerait à compter de la signature du présent contrat et pour une durée de 4 ans.
Les contrats d’édition conclus en application de ce pacte seront automatiquement soumis aux modalités d’exploitation fixées par ce contrat de manière fixe pour toute la durée du pacte.
Dans ce cadre, l’auteur s’engage à proposer au minimum à l’éditeur deux nouveautés par an, c’est-à-dire deux nouveaux romans de science-fiction.
Sauf cas de force majeure, l’auteur s’engage à respecter les minima ci-dessus et à poursuivre leur collaboration pendant la durée du présent pacte. »

Dans le même sens l’auteur ne peut forcer l’éditeur à éditer l’œuvre présentée. Le pacte de préférence n’est pas un engagement de l’éditeur à publier l’auteur, il est libre de refuser l’œuvre proposée. L’éditeur dispose d’un délai de 3 mois à compter de la réception du manuscrit définitif pour se prononcer (ce délai peut être négocié dans le contrat, vous pouvez prévoir un délai plus court si vous le souhaitez).

Après deux refus successifs de la part de l’éditeur, le pacte est considéré comme résilié et l’auteur pourra reprendre sa liberté pour ses œuvres futures. Attention toutefois dans cette situation à ne pas oublier les avances qui ont pu être faites. Si l’auteur reprend sa liberté et ne soumet plus ces œuvres à l’éditeur il devra rembourser les avances déjà perçues sur des œuvres futures non encore présentées à l’éditeur. Le code de la propriété intellectuelle considère que ces avances ne sont pas acquises.

La jurisprudence reconnaît implicitement une obligation de bonne foi de la part de l’auteur. Celui-ci ne peut volontairement produire des œuvres de mauvaise qualité ou insusceptibles d’être publiées pour que l’éditeur n’ait d’autre choix que de les refuser et donc de pouvoir se défaire du pacte. Cette qualification sera reconnue si la mauvaise foi de l’auteur peut être identifiée et non pas seulement si l’auteur fournit des œuvres de qualité mais qui ne correspondent pas aux goûts de l’éditeur.

En cas de non respect du pacte de la part de l’auteur (s’il propose ses œuvres à un autre éditeur) il s’expose à la réclamation de dommage et intérêts. Si le second éditeur avait connaissance de l’existence du pacte il est possible qu’un juge sanctionne le non-respect par la nullité du contrat passé avec le second éditeur.

Stratégiquement, rien ne vous empêche de proposer vos œuvres dans le même temps à plusieurs éditeurs, il faut simplement qu’ils aient connaissance de l’existence du pacte et donc du fait que si votre premier éditeur accepte le manuscrit vous serez obligé de refuser les autres offres.

Point important : les prochains contrats qui seront conclus dans le cadre du pacte le seront au même condition que le contrat initial. C’est-à-dire que les conditions (taux de rémunération, étendu de la cession…) que vous avez négociées dans le premier contrat dans lequel est inséré le pacte de préférence, s’appliqueront aux prochains contrats : vous ne pourrez pas renégocier les clauses du contrat. Ce mécanisme s’applique d’office si rien n’est précisé mais vous pouvez tout à fait insérer une clause qui changerait cette disposition (par exemple une clause qui prévoit une renégociation de la rémunération).

Deuxième point important : il est essentiel de conserver des preuves écrites de la réalisation du pacte. Par exemple, n’hésitez pas à conserver une copie du mail ou capture d’écran avec la date visible de l’envoi de votre manuscrit à votre éditeur, pour prouver que vous l’avez bien fait. De même, s’il refuse votre manuscrit, veillez à ce que cela soit fait par écrit et non oralement pour conserver une preuve qu’il a bien refusé votre livre et que vous êtes donc libre de le présenter à une autre maison d’édition ou de vous auto-éditer. En cas de conflit, ces preuves vous seront très précieuses.

Que disent les tribunaux ?

  • L’existence d’un droit de préférence inséré dans un contrat d’édition est dépendante de l’existence de ce dernier, en sorte que la disparition du contrat d’édition pour cause de résiliation entraîne nécessairement celle du pacte qui lui est intimement lié et forme avec lui un tout indivisible. Cour d’appel de Paris, 24 novembre 1987.
  • Le contrat est nul si aucun genre n’est indiqué. TGI Paris 9 juillet 1975.
  • Le pacte de préférence doit s’interpréter restrictivement. Cour d’appel de Paris, 6 septembre 1999.
  • Ne peut être admis le pacte de préférence qui comporte aucune limitation quant à sa durée et quant au nombre d’ouvrages. Cour d’appel de Paris, 26 septembre 1978.
  • Ne peut être admis un pacte qui engage les parties pour une durée de trois ans, avec reconduction pour une nouvelle période de trois ans, même en présence d’une clause permettant à l’auteur de dénoncer l’opération 6 mois avant l’expiration de la première période, car cette faculté suppose un acte positif du créateur. TGI Paris, 18 juin 1971
  • L’auteur doit réellement mettre l’éditeur en mesure d’exercer son droit de préférence, aussi ne peut être admis le comportement de celui qui, “en adressant à son éditeur deux ouvrages qui, même eu égard à ses précédents écrits, se présentent sous une forme difficilement abordable pour le lecteur, a voulu se libérer du droit de préférence dont bénéficie l’éditeur dans ces conditions qu’il pouvait prévoir inacceptables pour celui-ci”. Cour d’appel de Paris, 22 janvier 1992.
  • Inversement, est nulle la clause par laquelle l’éditeur se réserve le droit d’opposer plus de deux refus successifs. Cour de Cassation, 1ère chambre civile, 15 décembre 1975.