Joann Sfar répond à la SGDL

Joann Sfar, président d’honneur de la Ligue des Auteurs Professionnels, a décidé de répondre publiquement au communiqué publié hier par la Société des Gens de Lettres.

Paris, le 26 Mai 2020

Tout le monde me conseille de me taire parce qu’il va y avoir un procès. Peut-être est-ce l’objectif de cette plainte, d’ailleurs, qu’on se taise.

Et on devrait remercier la Société des Gens de Lettres. J’ai eu tort de dire que cette institution représentait bien mal les auteurs. C’est vrai, on n’a pas entendu parler d’eux lorsque nous nous battions pour que le rapport Racine ne soit pas enterré. Ils ont été également très discrets lors du scandale de l’Agessa, lorsqu’on a découvert que notre organisme de sécurité sociale avait « oublié » une partie des cotisations de 190 000 artistes-auteurs, les amputant de leurs droits à la retraite. Mais aujourd’hui que notre profession sort exsangue d’années de crise et de plusieurs mois d’épidémie, ils se réveillent. Pour crier avec moi que la façon dont l’État a décidé de gérer la crise pour les artistes-auteurs est problématique ? Non. Pour demander la mise en place de mesures de soutien aux auteurs simples, adaptées et sans rupture d’égalité, comme pour les autres professionnels de ce pays ? Non. La Société des Gens de Lettres se réveille pour me faire un procès en diffamation. Je devrais donc la remercier et je comprends enfin la fonction de cet organisme : il sert à remettre les auteurs dans le droit chemin si par hasard il leur arrive d’être catastrophés, et par la situation sociale de leur profession, et par la façon paternaliste dont des associations font semblant de les défendre.

Passons sur le fait que le communiqué de la SGDL joue à BOGGLE avec mes déclarations pour me faire dire autre chose que ce que j’ai dit.

Et ne fermons pas notre grande bouche. Je ne crois pas que mes déclarations relèvent de la diffamation. Je veux bien entendre que je sois vague, imprécis, et que mes propos appellent au débat. Mais ce procès est une honte.

Pour dire le fond de ma pensée, je ne peux pas croire un instant que les 24 membres du conseil d’administration de la SGDL soutiennent cette démarche. Parmi eux des auteurs, des éditeurs et divers acteurs de la filière livre. Je ne peux pas croire qu’ils valident cette attitude honteuse à mes yeux. Pas plus que je ne peux imaginer les adhérents de la SGDL favorables au fait que leurs cotisations servent à attaquer un auteur en justice parce qu’il ose critiquer la situation actuelle.

Si j’émets ces critiques, et si d’autres auteurs le font avec moi, c’est parce que nous voyons au quotidien des collègues qui n’y arrivent plus, de tous âges. Nous voyons un système se refermer comme un nœud coulant autour de nos confrères. Et depuis des années chacune de nos initiatives auprès des pouvoirs publics finit réduite à néant. La dernière en date, le rapport Racine, a été torpillée. Ce rapport, commandité par le Ministère de la Culture comportait à la fois un constat juste sur notre situation, et des préconisations parfaitement sensées pour que les auteurs bénéficient enfin d’un statut plus conforme à leur activité. Dès sa publication, ce rapport a été l’objet de toutes les attaques émanant du Syndicat National de L’Edition, ce qui n’est pas une surprise, mais également d’autres organismes dont on a pu comprendre que leur investissement auprès des auteurs consistait avant tout à œuvrer pour que rien ne change.

Oui, j’affirme que la SGDL et tout le maillage mélangeant association culturelle, syndicats et organismes de gestion collective nous représente bien mal. C’est une confusion des intérêts défendus qui n’existe nulle part ailleurs dans la représentation professionnelle des métiers. La France s’est engagée, en ratifiant la convention n°87 de l’Organisation Internationale du Travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, à « prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d’assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical. »

Durant les temps d’abondance, tout le monde s’en foutait. Aujourd’hui que les auteurs ont besoin d’aide, je crois nécessaire de réfléchir aux raisons pour lesquelles aucun des relais qui devraient les aider ne fonctionne.

Je crois qu’on ne peut plus accepter l’absence d’une représentation professionnelle légitime des auteurs. Il y a des lois en France. Nous demandons une chose simple : l’application de la démocratie sociale, et l’organisation d’élections professionnelles conformes au droit du travail. Aujourd’hui, certaines associations et organismes nous représentent d’office sous prétexte d’ancienneté, emploient beaucoup de monde, sont très richement dotées. Nous avons le droit de critiquer leur action, et même leur existence si ça nous chante.

Il m’arrive d’être excessif, inexact, de me tromper dans les chiffres ? C’est possible. C’est sans doute une idée naïve, mais dans la mesure où l’État parvient à imposer l’impôt sur le revenu aux artistes-auteurs et à leur prélever des cotisations, je ne vois pas pourquoi il a besoin de la SGDL pour distribuer des aides d’urgence aux critères déconnectés avec nos métiers, au moment de l’une des plus grandes crises économiques du siècle. 1 million d’euros a été débloqué pour les auteurs par l’État. Plutôt que de les gérer lui-même, ce dispositif a été confié à la Société des Gens de Lettres. 1 autre million supplémentaire a été apporté par des organismes de gestions collectives. En date du 4 mai 2020, d’après les chiffres du Centre National du Livre, seulement 80 auteurs avaient eu accès à cette aide. Les auteurs ont fait savoir leur détresse.

Que la SGDL soit mécontente de mes mots, je l’imagine bien. Qu’ils aient le sentiment que je suis excessif, j’en conviens volontiers. Même si une part de moi songe qu’il faudrait hurler encore plus fort puisqu’après des années à s’époumoner, les collègues et moi-même ne sommes pas entendus. Qu’ils en arrivent à me faire un procès, cela relève selon moi de l’indignité. Et c’est une honte pour une association qui prétend être au service des auteurs.

Je demande solennellement et publiquement aux 24 membres du directoire de la SGDL ainsi qu’aux adhérents de cette association s’ils acceptent que leur nom serve à cette procédure honteuse.

Chère SGDL, je vais relire Balzac. J’aimerais bien déchirer ma carte de membre, mais je n’en fais pas partie. Tu ne me représentes pas. Et si tu persistes à vouloir attaquer ceux qui osent parler, prépare-toi à demander à l’État davantage de fonds car on risque d’être nombreux.

Joann Sfar
Président d’honneur de la Ligue des Auteurs Professionnels