Réaction de la Ligue face au dépôt de plainte de la SGDL

Communiqué du 2 juin 2020

Le samedi 23 mai 2020, Joann Sfar, auteur et président d’honneur de la Ligue des auteurs professionnels, s’est exprimé sur l’antenne de France Inter, interrogé par Alexandra Bensaïd à propos de la crise sans précédent que traversent les artistes-auteurs. Deux jours plus tard, la Société des Gens de Lettres dénonçait ses propos et indiquait vouloir déposer contre lui une plainte pour diffamation devant le Procureur de la République.

Les propos supposés litigieux sont reproduits de façon tronquée, avec une suite de césures visibles qui surprennent, car elles imposent au lecteur un rafistolage réalisé à l’aide de passages de l’interview. Or selon la SGDL, ce raccommodement serait constitutif d’une atteinte à l’honneur et à la considération susceptible de caractériser une diffamation. À la lumière des experts juridiques consultés, il apparaît donc qu’une telle affirmation doit d’emblée être remise en cause, car la loi prévoit une définition beaucoup plus exigeante de l’infraction et des éléments constitutifs qui ne sont pas réunis dans cette interview.

Si les propos de Joann Sfar ne constituent pas l’infraction de diffamation, la Ligue des auteurs professionnels note en revanche, au sein du communiqué de la Société des gens de Lettres, la présence d’allégations ou d’imputations susceptibles de porter atteinte à son honneur et à sa considération, ou à celle d’individus. Par exemple, il est indiqué : « La “Ligue des auteurs professionnels” a également été invitée à participer à cette commission, mais la Présidente de cette association a décliné de participer à cette proposition au titre qu’elle ne serait pas rémunérée pour y siéger. »  Cette phrase est mensongère : le Centre National du Livre a proposé à des organisations de participer à une commission consistant à vérifier les dossiers d’auteurs et d’autrices dans le cadre du fonds délégué à la SGDL. La Ligue des auteurs professionnels a refusé d’y siéger en expliquant au CNL par écrit qu’il s’agissait d’une décision de son conseil d’administration pour trois raisons :

1) Le travail que cela constituait pour des auteurs et autrices précaires, et ce bénévolement en période de crise (la Ligue est uniquement composée d’auteurs et d’autrices bénévoles)

2) Les remontées négatives d’auteurs et d’autrices sur le fonds en lui-même, pour lequel nous avons effectué une note détaillée des problèmes qu’il pose.

3) Qu’il serait logique que la SGDL tienne au courant l’ensemble des auteurs et autrices en toute transparence du dispositif.

Cette phrase du communiqué de la SGDL, montre une volonté claire d’attaquer un individu, qui plus est une autrice dans l’exercice de sa fonction syndicale, plutôt que de remettre en question le problème majeur que pose la proposition du travail gratuit pour des auteurs et autrices précaires dans le cadre d’une tâche qui devrait incomber à l’État. Rappelons que le rapport Racine lui-même invitait l’État à l’exemplarité en matière de rémunération pour l’ensemble des artistes-auteurs quand leur temps et leurs compétences sont sollicités.

Depuis la création de la Ligue des auteurs professionnels, la volonté d’institutions plus anciennes semble être de vouloir caractériser notre organisation comme un collectif insignifiant et médiatique. La Ligue des auteurs professionnels est constituée de deux organisations fondatrices, la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse et les États Généraux de la BD. La première est une association ayant 45 ans d’existence dans la défense des auteurs et autrices jeunesse, étant parvenue à mettre en place des tarifs désormais considérés comme une référence pour les auteurs dans le secteur du livre. La seconde est l’association ayant permis pour la première fois d’offrir un panel statistique et sociologique des auteurs de Bande Dessinée, et ainsi de constater l’ampleur de la crise économique qu’ils traversent.

En un an et demi d’existence, la Ligue compte 1900 adhérents et adhérentes. Son conseil d’administration est composé d’auteurs et d’autrices bénévoles de tous les secteurs de l’édition, souvent eux-mêmes précaires, qui œuvrent chaque jour pour la défense des intérêts moraux et professionnels des artistes-auteurs. En si peu de temps, la Ligue aura sollicité et contribué à la mission Bruno Racine, rédigé de nombreux travaux d’analyse sur le statut des auteurs et autrices, alerté et proposé des solutions sur toutes les réformes concernant la profession, sensibilisé les parlementaires et les pouvoirs publics, accompagné les auteurs et autrices au quotidien dans les recours sociaux multiples, construit des projets et outils innovants autour ses pairs… La liste de ses actions est longue !

En résumé, n’en déplaise à des structures plus anciennes, la Ligue des auteurs professionnels existe, se consolide, et travaille au quotidien avec une dizaine d’organisations d’artistes-auteurs partenaires pour améliorer de façon transversale les conditions de travail des créateurs et créatrices. Notre vision diffère d’autres organisations : à l’aune de la longue expérience syndicale de certains de ses bénévoles et de nos débats quotidiens, nous concluons qu’il nous faut aujourd’hui reconfigurer le système actuel, en travaillant main dans la main avec d’autres organisations professionnelles représentant d’autres métiers de la création.

S’il y avait là matière à ce que notre organisation professionnelle attaque en retour, la Ligue n’en fera rien. Les auteurs et les autrices traversent une crise sans précédent et méritent la plus grande attention et le plus grand soutien. De fait, les dispositifs mis en place pour eux durant cette période n’ont pas été à la hauteur de la crise, et ne le sont toujours pas, en raison de choix politiques ou de dysfonctionnements inhérents à notre régime.

Aujourd’hui, nous voyons que la Société des Gens de Lettres, opérateur privé à qui l’État a délégué la mission de distribuer des fonds à destination des auteurs lors de la crise, semble prendre personnellement nos analyses documentées et étayées qui montrent les limites et problématiques posées par cette gestion en général.

Nous devons donc rappeler le rôle d’une organisation professionnelle : « l’étude, la défense des droits et la défense des intérêts moraux et matériels d’une profession » (L. 2131-1, Code du travail), en toute indépendance. Nous n’avons pas, comme cela nous a été parfois demandé, à faire une promotion sans réserve de tel ou tel dispositif : notre rôle est bien de défendre les intérêts de notre profession. Lorsque lesdits intérêts ne sont pas respectés, comme cela a été le cas à maintes reprises depuis le début de la crise sanitaire, notre devoir moral est d’exprimer la situation et d’appeler à ce qu’elle soit corrigée. C’est ainsi que la Ligue des auteurs professionnels entend défendre les auteurs et autrices et leurs métiers, et c’est ce qu’elle continuera à faire.

Cette polémique aura eu un seul mérite : remettre le rapport Racine au centre de l’attention des pouvoirs publics. La crise de la représentativité était l’un des points cardinaux du résultat de ces travaux. Aujourd’hui, si nous voulons construire un dialogue social solide, de véritables réglementations pour la profession et bâtir un statut digne de ce nom, il faut passer par le changement. L’une des premières étapes est de clarifier la représentativité des artistes-auteurs, et de leur permettre d’accéder à la démocratie sociale, comme n’importe quelle profession.

En dépit des nombreuses pressions exercées sur nos bénévoles, ces derniers continuent de s’engager pour une meilleure protection des droits des auteurs et autrices du livre. C’est aux artistes-auteurs eux-mêmes, par la voie des urnes, de pouvoir élire leurs représentants et décider de leur avenir.