Compte rendu de la réunion ministérielle du 24 septembre 2020

En février dernier paraissait le Rapport Racine, et avec lui la promesse d’un plan artistes-auteurs ambitieux pour sortir nos professions de l’angle mort des politiques culturelles. Cette analyse de 140 pages, fruit de longs mois d’auditions et de travaux d’experts, pointe la non représentativité des artistes-auteurs comme la source systémique des graves problèmes que nous rencontrons. Absence d’un statut clair, non recours sociaux, réformes chaotiques et non concertées, faiblesse face aux exploitants de nos œuvres… La non reconnaissance de notre profession se traduit par un dialogue social déstructuré et peu efficace, où le droit commun est absent. A la lumière de ces enjeux, les réunions de travail promises par le Ministère de la Culture sur la notion de représentativité sont d’importance.

compte rendu de la réunion du 24 septembre 2020 – groupe sectoriel “auteurs de l’écrit”

Ordre du jour du ministère :

  • Proposition de priorisation des différents chantiers inscrits à l’agenda des prochains mois en distinguant les enjeux de court terme et ceux de moyens terme ;
  • La question de la représentativité des organisations d’artistes-auteurs : identification des finalités et modalités possibles.

Organisations présentes qui se sont exprimées :

  • Ligue des auteurs professionnels
  • Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse
  • SNAC
  • Société des gens de lettres
  • Conseil permanent des écrivains
  • Ecrivains associés du théâtre
  • Association des traducteurs littéraires de France
  • CAAP
  • Sofia

(D’autres organisations étaient présentes mais ne se sont pas exprimées)

Une méthodologie qui pose question

Alors que ces groupes de travail sont supposés être dédiés à la représentativité, pour trouver une méthodologie claire sur comment établir la représentativité des artistes-auteurs, les réunions n’ont eu de cesse d’être décalées et l’ordre du jour modifié. Ce “groupe de travail” s’est plutôt apparenté à un groupe de parole, là où nous attendions le début de travaux fournis sur la mise en place des futures élections professionnelles. Nous espérons que cette introduction laissera place à de véritables travaux.

Une approche sectorielle problématique

Alors que la question de la représentativité est commune à l’ensemble des artistes-auteurs, le ministère de la culture a imposé des groupes “sectoriels” aux terminologies d’ailleurs peu cohérentes (parfois sous le prisme des métiers, d’autres fois des secteurs de diffusion) qui sont déjà en soi révélatrices de la difficulté à appréhender de façon claire l’écosystème des artistes-auteurs autrement qu’à travers les exploitants dans leurs œuvres.

L’absence du Ministère du travail

Nous déplorons l’absence du ministère du travail, dont la présence nous avait été pourtant promise par les équipes du Ministère de la culture. Le dialogue social relève du champ de compétence du ministère du travail, et nous souhaitons que la profession des artistes-auteurs cesse d’être mise à part de toutes les considérations et lois qui s’appliquent dans ce pays en matière de démocratie sociale. Aussi, nous demandons solennellement que le Ministère du Travail soit présent et contribue à cadrer ces discussions.

La présence problématique du SNE

Le Ministère de la culture a fixé comme critère qu’une organisation d’auteurs peut être présente à ces réunions, peu importe sa forme juridique, à partir du moment où certains de ses membres exercent des métiers dans le secteur du groupe de travail visé. Point problématique : le Syndicat national de l’édition était présent dans une réunion qui ne concernait que les artistes-auteurs. Une façon de sélectionner les interlocuteurs qui en dit déjà long sur la non cohérence des partenaires sociaux conviés en fonction des périmètres des sujets qui doivent être négociés.

La représentativité : pour quoi faire ?

Le Ministère de la Culture a demandé à chaque organisation professionnelle sa position sur la notion de représentativité. Se sont scindés rapidement trois “camps” dans les organisations présentes :

  1. Celles pour une clarification de la représentativité sous le prisme du droit commun ;
  2. Celles contre toute clarification, estimant que ce n’est pas un sujet prioritaire ;
  3. Celles pour une clarification mais craignant que leur structure juridique actuelle ne leur permettent pas de participer par la suite au dialogue social.

La Ligue rappelle que la notion de représentativité est la capacité légitime et reconnue à une organisation de représenter une profession. Les artistes-auteurs, soit 270 000 personnes en France, ne se sont jamais appropriés la notion de démocratie sociale. Or, face à la précarisation grandissante de nos métiers, il est urgent que la représentativité des artistes-auteurs soit établie par voie démocratique.

Cela permettra :

  • De piloter enfin notre régime social et d’être intégrés aux décisions qui concernent nos professions ;
  • De consolider des organisations professionnelles élues démocratiquement en leur assurant des financement pérennes pour peser davantage face aux exploitants des œuvres ;
  • De mettre en place des accords collectifs venant réguler les conditions d’exercice de nos métiers créatifs, assurant ainsi des rémunérations plus justes.

Quant aux inquiétudes de certaines organisations sur le fait de devoir faire évoluer ou non leur structure pour se conformer aux législations en vigueur en matière de dialogue social, nous les comprenons. Mais aujourd’hui, il nous appartient à nous et à nos adhérents d’aller vers le changement et de nous réformer aussi dans notre façon de faire, si nous voulons assurer à nos professions une défense de leurs intérêts solide.

Les élections professionnelles : quelle méthodologie ?

Le Ministère de la Culture a interrogé par la suite quelles solutions pratiques pouvaient être mises en place pour établir la représentativité. Nous avons renvoyé aux nombreuses contributions écrites que nous avons fournies ces derniers mois. Les élections professionnelles sont à notre sens la solution la plus légitime et la plus démocratique pour établir la représentativité d’organisations professionnelles, comme c’est le cas pour d’autres professions. Le Ministère de la Culture a interrogé notre ressenti sur une autre méthode, l’enquête de représentativité. Nous sommes favorables à des élections professionnelles. L’enquête de représentativité laisse de nouveau le soin aux Ministères d’établir leur propre jugement sur qui est représentatif ou non. C‘est aux artistes-auteurs eux-mêmes de décider de qui les représente, non pas à l’Etat.

Se sont posées deux questions :

– Comment définir le corps professionnel des artistes-auteurs votant ?

C’est bien le nerf de la guerre : l’Etat est incapable pour l’heure d’identifier la profession des artistes-auteurs. Pour le corps professionnel votant, auparavant, les élections professionnelles étaient uniquement réservées aux artistes-auteurs atteignant le seuil d’affiliation du régime de sécurité sociale (environ 9000€/an). Nous sommes pour un assouplissement de ce seuil car la professionnalité d’un artiste-auteur ne saurait être définie par le seul montant de ses revenus. Dans un premier temps, pour des raisons pratiques, il faudra sans doute fixer un premier montant plus souple que le précédent. Mais l’objectif est bien d’identifier par la suite l’ensemble de la profession, avec souplesse, ce qui pourrait se faire à travers des critères supplémentaires. Le problème étant que pour l’heure, l’État n’a toujours pas mis en place les outils pour permettre de connaître nos professions.

– Quelles organisations seront éligibles ?

C’est sûrement le sujet qui génère le plus de panique au sein de l’écosystème. Du point de vue du droit commun, seuls les syndicats sont éligibles. Car un syndicat est la seule structure dont l’objet exclusif est la défense des intérêts d’une profession. Pourquoi est-ce que ce critère est important ? Parce que cela pose un véritable garde-fou quant aux intérêts collectifs défendus. A noter qu’un syndicat peut tout à fait avoir la forme d’une association, juridiquement, ce qui compte, c’est que son unique objectif soit de défendre une profession.

Aussi, les syndicats éligibles doivent répondre à des critères selon le code du travail, comme leur audience, leur ancienneté, leur indépendance, etc. L’indépendance pose question chez les organisations d’artistes-auteurs, dont les financements dépendent majoritairement de subventions aléatoires et remises en cause chaque année. Certaines organisations, nous l’avons constaté, ont pu faire l’objet de pressions venant entraver l’exercice de leur liberté syndicale.

C’est donc bien l’ensemble d’une structuration à revoir : que l’État donne aux artistes-auteurs, comme aux autres professionnels, les outils et moyens de construire une représentation syndicale légitime et financée.

conclusion

Nous invitons donc chaque organisation professionnelle à ne pas voir la représentativité sous l’angle de “qui est inclut ou exclut” mais bien d’accepter que l’heure est à la remise en question, aux évolutions et au changement pour qu’enfin le statut artistes-auteurs soit reconnu et que nos professions bénéficient de la démocratie sociale et de toutes les avancées majeures que cela pourra entraîner. Profession identifiée, droits sociaux effectifs, négociation collective pour des minimums de rémunération, etc. Nous déplorons que cette évolution soit source d’hostilité pour certaines associations, syndicats ou organismes de gestion collective. Il ne s’agit que d’une clarification nécessaire et saine, dans l’intérêt de nos professions, pour une ventilation plus efficace et établie des rôles de chacun.

Vous pouvez retrouver ici les contributions que la Ligue a fait parvenir au Ministère de la Culture :