Je suis autrice professionnelle de Bande Dessinée depuis vingt ans. Ce n’est un secret pour personne sauf pour l’Urssaf apparemment. En tout cas, elle m’a oubliée jusqu’ici. Heureusement, je vis bien de mon métier et je suis très informée sur les limites des réformes en cours. J’arrive donc à dormir tranquillement.Mais j’imagine l’inquiétude de tous les autres laissés-pour-compte de la bascule de l’Agessa vers l’Urssaf. C’est pour eux que j’écris cette tribune. Vous allez voir, mon parcours avec la Sécurité sociale des artistes-auteurs a été épique.
Un faux départ avec l’Agessa
Mes problèmes avec la Sécurité sociale des artistes-auteurs ne datent pas d’hier. Ils datent même de mes tout débuts dans le métier. En 2000, l’Agessa ne faisait rien pour que les auteurs débutants s’inscrivent. Nous ne recevions aucune information particulière, que ce soit en direct ou via nos éditeurs. La seule chose que nous constations, c’est que nos revenus étaient précomptés d’une ligne « Agessa », ce qui donnait l’impression que nous avions payé nos cotisations sociales et que tout était en ordre.
Donc, dès mes premiers droits d’auteurs, l’Agessa était censée connaître mon existence, puisque mon éditeur lui reversait des cotisations sur ma rémunération. Pourquoi n’est-elle pas venue me demander de m’inscrire ? D’autant plus que, comme j’ai eu la chance que mon premier album se vende très bien, j’ai tout de suite dépassé le fameux « seuil d’affiliation ». J’ai compris bien plus tard que l’Agessa avait dès lors obligation de me faire adhérer. Mais il n‘en fut rien.
Ce fut même pire. Un jour, j’ai accompagné mon mari, Denis Bajram, dans les bureaux parisiens de l’Agessa. En discutant avec des collègues, il avait finalement compris qu’il devait payer des cotisations en plus du précompte éditeur, et venait donc pour s’inscrire. Il était inquiet, il se disait que l’Agessa allait exiger une lourde régularisation pour ses cinq premières années d’activité pendant lesquelles il n’avait pas été identifié. Nous avons été très aimablement reçus par l’un des responsables. Il expliqua à Denis qu’il n’avait pas à s’inquiéter, que l’Agessa n’était pas méchante, qu’il n’avait qu’à cotiser à partir de ce jour-là et que ce serait bon.
Ce sympathique salarié de l’Agessa, avec son aimable conseil, lui a fait perdre, en gros, cinq années de cotisations retraite. Ces cinq années perdues vont avoir évidemment un lourd impact sur ses pensions de retraite futures. Déjà que nous avions fait de longues études…
Après ce faux départ, on aurait pu croire que tout allait être à peu près normal jusqu’à aujourd’hui. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
La Sécurité sociale de Schrödinger
En 2006, lors d’une visite chez le médecin, ma carte vitale a dit « non ». Je n’étais plus affiliée à l’assurance maladie. J’ai donc contacté la CPAM, qui m’a demandé une attestation d’affiliation à l’Agessa pour me réinscrire. Après quelques échanges de courriers, c’était fait. Bon, une erreur, ça arrive…
Le vrai souci, c’est que l’année suivante, j’ai été désinscrite à nouveau. À nouveau, j’ai donc refait toutes les démarches. Franchement, nous, les autrices, on s’ennuie dans la vie, c’est toujours sympa d’avoir un peu d’activité administrative gratuite.
Ce qui est bien avec un gag répétitif, c’est qu’il se répète. Tous les ans, alors que j’étais parfaitement à jour de mes cotisations, j’étais désaffiliée de l’assurance maladie, et tous les ans, je devais me réinscrire en demandant une attestation à l’Agessa. À aucun moment, elle n’a voulu prendre en main ce problème. Elle m’a laissée me débrouiller avec la CPAM.
En fait, j’avais une Sécurité sociale de Schrödinger, vous savez, comme le chat quantique à la fois mort et vivant : j’étais assurée/pas assurée. Heureusement, je n’ai pas eu de problème de santé, et, heureusement, la CPAM de ma ville s’est montrée des plus serviables.
Finalement, en 2013, une conseillère, lassée de me voir encore revenir, s’est chargée de mon problème. Elle a fini par découvrir que c’était la MNEF, ma Sécurité sociale étudiante, qui rappelait tous les ans mon dossier, alors que j’avais atteint les 40 ans et, bien sûr, fini mes études depuis très longtemps ! Et tout cela sans que l’Agessa ne réagisse ni même ne s’en rende compte. La conseillère a donc écrit à tout le monde et a, enfin, réussi à me sortir de ma boite de Schrödinger. Merci à elle !
Au tribunal contre l’Agessa
Peu après, mon mari et moi avons découvert que nous avions payé indûment la contribution diffuseur à l’Agessa. Cette cotisation « patronale » est payée normalement par nos éditeurs, en même temps que le précompte des cotisations « salariales ». Les éditeurs s’en sortent à très bon compte, vu qu’elle n’est que de 1.1% et que c’est leur unique contribution sociale pour les auteurs.
Il s’avère qu’à l’époque, Denis et moi travaillions principalement avec des éditeurs basés en Belgique, et que nous devions donc payer le précompte nous-mêmes, a posteriori. Dans ces circonstances, l’Agessa demandait aux auteurs de payer aussi la fameuse contribution diffuseur de 1.1%. Or, c’est une cotisation « patronale », et certains auteurs se sont aperçus qu’aucun texte législatif ne justifiait qu’on nous en demande le paiement.
Ils ont donc soumis le problème à leurs syndicats et, suite à cela, l’Agessa a arrêté de le faire. Mais il n’a pourtant pas été question de rembourser automatiquement les trop-perçus, au moins pour les trois années précédentes comme le veut la loi. Sans doute parce que les autrices et les auteurs roulent sur l’or, c’est bien connu. Et puis, perdre 1.1% de ses revenus, c’est une broutille…
Une amie a donc fait la démarche de réclamer ce remboursement. Pour faire valoir son bon droit, il a quand même fallu qu’elle traine l’Agessa devant le TASS, le tribunal des affaires de sécurité sociale. Finalement, l’Agessa a cédé, et au lieu d’aller de se présenter devant le tribunal, a remboursé le trop-perçu.
Suite à cela, Denis et moi avons écrit à notre tour à l’Agessa. Nous nous attendions à être remboursés dans les plus brefs délais d’autant que le préjudice ne portait pas sur de petites sommes. Nous avions eu la chance d’avoir très bien gagné notre vie les années précédentes. Mais, l’Agessa a refusé de nous rembourser comme elle l’avait fait pour notre amie. Nous avons donc dû, nous aussi, saisir le TASS. Et ce n’est, à nouveau, qu’à ce moment-là, que l’Agessa a reculé et accepté de payer. Heureusement, elle avait été créée pour que les auteurs aient une Sécurité sociale à leur service. Imaginez autrement.
En clair : dans mon cas, l’Agessa a été systématiquement en dessous de tout. Encore en 2019, elle a réussi à suspendre les prélèvements automatiques sans prévenir clairement les auteurs. J’ai même écrit une première tribune sur le sujet. J’y raconte avoir reçu une très courte réponse à mes demandes d’explication. Elle résume parfaitement mes deux décennies de relations avec l’Agessa : « Bonjour, cordialement, votre correspondant à l’Agessa »
L’oubliée de l’Urssaf
C’est donc avec un certain soulagement que j’ai appris que l’Agessa allait laisser place à l’Urssaf pour le recouvrement de nos cotisations. Grâce à la Ligue des auteurs professionnels, dont je suis une des fondatrices, j’ai suivi les rebondissements de cette réforme. À chaque nouvelle inquiétante, je me suis dit que ça ne pourrait pas être pire.
Hélas, j’ai oublié un détail : l’Agessa n’a pas été capable de fournir une base de données de ses adhérents à l’Urssaf, et l’Urssaf a donc dû repartir de zéro pour reconstituer la liste des 270 000 artistes-auteurs en activité en France.
À partir de fin 2019, un à un, ils se sont mis à recevoir des codes pour se connecter à leur nouveau compte sur le site de l’Urssaf. Elle a commencé par identifier ceux qui sont fiscalisés en BNC, ce qui n’est pas mon cas. J’ai donc attendu sagement, comme beaucoup d’auteurs du livre. Ceux qui sont fiscalisés en TS devaient recevoir leurs codes à partir d’avril.Comme nous devions déclarer nos revenus à l’Urssaf pour le premier semestre seulement en juillet, il y avait un peu de marge.
La crise sanitaire a évidemment perturbé le travail de l’Urssaf. Mi-juin, ni Denis ni moi n’avions reçu nos codes de connexion. Enfin, la dernière semaine du mois, le facteur a fini par délivrer à mon mari le courrier avec les fameux codes. J’ai cru que les miens n’allaient pas tarder.
Je me trompais. Ce n’est pas faute d’avoir relancé l’Urssaf. Après avoir envoyé un premier e-mail resté sans réponse en juin, j’ai recommencé mi-juillet. Là, l’Urssaf m’a demandé d’envoyer un courrier papier accompagné de copies de documents prouvant mon identité. Ce que j’ai fait immédiatement.
Nous voici fin septembre, et j’attends, hélas, toujours mes codes. Face aux dysfonctionnements de son site, l’Urssaf a décalé la date limite pour déclarer ses revenus au 1er septembre. J’aimerais bien pouvoir le faire, mais, pour l’instant, je ne suis toujours pas officiellement un artiste-auteur pour l’Urssaf.
Pourtant, je suis autrice professionnelle depuis deux décennies. Je ne peux qu’imaginer ce qu’il en est pour tous ceux et celles qui n’ont pas l’assise que j’ai dans mon métier. Combien sont-ils ces oubliés au bord du chemin ? Combien vont y perdre des années de cotisations retraite comme ça m’est arrivé avec l’Agessa ? Combien, au contraire, à qui l’Urssaf va venir faire un redressement surprise dans quelque temps ?
Je souhaite de tout cœur que cette réforme débouche sur un mieux pour tous les artistes-auteurs. Mais je sais que, malgré les multiples alertes de la Ligue des auteurs professionnels, qui a remonté toutes nos difficultés au « comité de suivi Urssaf » mis en place dès janvier par le ministère de la Culture et le ministère des Solidarités et de la Santé, les problèmes continuent encore et encore.
Combien de décennies allons-nous devoir vivre avec un régime social défaillant ? Quand notre profession sera-t-elle enfin correctement identifiée ? Quand l’État nous rendra-t-il enfin la gouvernance de notre régime via des élections professionnelles ? En fait, tous nos déboires ont une seule origine : nous n’avons pas de véritable statut ! Pourtant, le rapport Bruno Racine a donné toutes les clefs pour régler sur le court et long terme nombre de nos problèmes, dont celui de notre protection sociale. À quand son application ?
Allez, on veut toujours y croire !