Nous, auteurs, affirmons la nécessité d’un statut spécifique

Publié le 9 juillet 2018

Par Samantha Bailly

Autrice, scénariste et vidéaste

Présidente de la Ligue des auteurs professionnels
Présidente de la Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse

Nous ne sommes pas des juristes, nous ne sommes pas des fonctionnaires du Ministère des Solidarités et de la Santé. Nous sommes des auteurs agissant, bénévolement et collectivement, pour défendre notre condition et la création littéraire. Nous plaidons pour un statut spécifique des artistes auteurs intégré au régime général et respectant nos particularités.

Les auteurs ne sont pas des salariés. Les auteurs ne sont pas non plus des indépendants. Notre régime, par dérogation, nous affilie au régime général (sécurité sociale, retraite) ou nous en exclut (chômage, compensation de la CSG). Nous assumons nos particularités. Le droit d’auteur inscrit et défini dans nos lois, grâce aux auteurs majeurs qui nous ont précédés, conduit à un statut particulier. Et nous affirmons, de par cette spécificité d’un travail rémunéré en droits d’auteurs, la nécessité d’un statut spécifique.

Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins. Il y a soixante-treize ans, inspirés par le Conseil national de la Résistance, étaient posés les fondements de la sécurité sociale. Dans l’ordonnance fondatrice du 4 octobre 1945, les auteurs étaient déjà oubliés.

En novembre 1960, toujours rien. Malraux plaidera au Sénat « l’affiliation » des artistes et regrettera en des termes étonnamment modernes : « Cet avant-projet a été rejeté par l’administration des Finances qui s’oppose au principe de toute extension du régime actuel de la sécurité sociale. […] le ministère du Travail a formulé un certain nombre d’objections : problème délicat de la qualification professionnelle, hostilité à toute fragmentation de la sécurité sociale, risque de faire obstacle à l’extension du régime actuel de la sécurité sociale à l’ensemble des professions libérales. »

Les auteurs ont fini pas obtenir leur affiliation. En 1975, le législateur a créé un régime spécifique de sécurité sociale pour les auteurs, géré par deux organismes distincts : AGESSA et MDA. Depuis, les auteurs ont parfois dû inventer eux-mêmes les moyens d’améliorer leur statut. N’imaginant pas que la programmation du détricotage de ce statut, imparfait mais particulier, soit dû à la volonté explicite de nous faire disparaître, nous nous interrogeons.

Les fiches d’évaluation préalables des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale exposent « l’obsolescence » des systèmes d’information des organismes agréés et leur peine à procéder aux recouvrements. Ces difficultés ne nous incombent en rien ; elles nous portent et nous ont porté préjudice. Les associations d’auteurs n’ont cessé de demander des corrections de fonctionnements, ont alerté mille fois sur la perte d’annuités. Dans ces mêmes documents, il est écrit que le choix a été fait de ne pas investir dans la rénovation de l’AGESSA et la MDA.

Les mesures qui ont été prises récemment sont des mesures de régulation. Nous pourrions nous réjouir qu’enfin l’on se penche sur notre sort, si ces mesures prises sans concertation ne brisaient pas la philosophie d’un régime qui était en construction. À aucun moment, les impacts n’ont été mesurés sur la population que nous formons. Nous, artistes auteurs, si souvent isolés dans notre pratique créative, nous sommes des travailleurs et des citoyens à part entière. Nous formons une profession, mais une profession atypique de par la nature même du droit d’auteur.
Si l’ouverture de la concertation d’aujourd’hui est un premier pas inédit, attendu depuis 5 ans, la situation quotidienne des auteurs est de plus en plus menacée. Nous faisons face à la fois à une dégradation de nos revenus (41% des auteurs considérés comme professionnels gagnent aujourd’hui moins que le SMIC) et à des réformes transversales inadaptées à nos spécificités. Nous faisons face à une hausse continue des cotisations depuis 2012, allant de pair avec une protection sociale très peu sollicitée.

Ce qui se joue cette année, c’est l’avenir d’un métier déjà très fragilisé, le métier d’écrire, de traduire et d’illustrer. Il est grand temps que l’avenir des auteurs de ce pays soit pris en main, avec un vrai souci d’équité. Il est grand temps qu’une réflexion profonde soit conduite. Nous attendons des mesures fortes, des avancées concrètes, une volonté politique affirmée, à la hauteur de la gravité qui plane sur la culture française.

Nous le rappelons encore : pas d’auteur, pas de livre. Protéger, anticiper, encadrer la situation des auteurs, c’est sauver la vitalité créative française. Si la date du 1er janvier 2019 ne pouvait être tenue par les différents services, le gouvernement doit envisager le décalage de mise en œuvre de ces mesures.

Protéger notre statut ? Bien sûr, mais pas seulement : il faut le renforcer et même l’améliorer. Pour cela, il sera sans doute nécessaire d’envisager un nouveau statut des artistes auteurs. Il faudra tirer les leçons des erreurs de l’État et réparer les préjudices. Ce statut spécifique devra être dessiné et construit avec les auteurs, et non pas sans eux.

Si pour des raisons qui nous échappent encore, le gouvernement ne nous entend pas, on peut espérer que notre Président de la République écoutera Victor Hugo. Voici quelques extraits du discours qu’il a prononcé en juin 1878 devant le Congrès littéraire international.  (Lecture par Benoit Peeters)

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