La revendication des États généraux du livre est simple, portée par toutes les organisations d’auteurs : 10 % minimum de droits d’auteur, pour tous les auteurs et autrices, peu importe les secteurs éditoriaux. Ces 10 % minimum, ils devraient être acquis depuis longtemps. Ce n’est plus la question d’en discuter, d’y réfléchir, c’est la nécessité et l’urgence de le mettre en place.
Les auteurs ne peuvent plus être la variable d’ajustement du secteur. Et la rémunération proportionnelle n’est d’ailleurs qu’un aspect d’une problématique bien plus profonde.
10 % minimum, cela devrait par exemple être une condition d’obtention de subventions au Centre National du Livre pour les projets éditoriaux aidés. Le CNL a déjà entériné des minimums, avec le tarif au feuillet des traducteurs, qui rappelons-le, sont des auteurs. Désormais, le financement du CNL est assuré par le Ministère de la Culture. Un contrat et une rémunération éthiques lorsqu’il y a des aides de l’État, c’est une question d’intégrité et de respect des créateurs et créatrices.
Comme entériner définitivement les tarifs de la Charte, repris par le CNL et la SOFIA, pour poser des cadres de rémunération clairs lorsque les auteurs et autrices interviennent : ateliers d’écritures, rencontres scolaires, lectures publiques, concerts dessinés, etc. Cela éviterait que des structures ou festivals subventionnés contournent les règles. Cela ferait en sorte que la rémunération des auteurs et autrices ne soit plus la variable d’ajustement d’un événement, quand tout le reste des coûts est fixe.
Ces 10 % minimum, ils devraient être inscrits dans la loi.
Le droit d’auteur s’intéresse très peu au « corps » de l’auteur. Il s’intéresse à son œuvre et son intégrité. À son esprit, en résumé. Sauf que c’est bien cet angle mort qui pose des problèmes depuis des décennies, si ce n’est des siècles : derrière une œuvre, il y a un être humain. Un être humain, qui, comme tout le monde, s’inscrit dans la société, paye des impôts, des cotisations, contracte un emprunt, fait ses courses, tombe malade, bref, TRAVAILLE.
Et aux yeux du Code de la sécurité sociale, pas d’ambiguïté : les auteurs sont des travailleurs.
Et dans ces 10 % minimum, il y a un fantôme qui plane, un non-dit, un déni. Oui, tous ces individus qui dessinent, écrivent, traduisent, travaillent pour l’industrie du livre. Il y a le temps de création et le temps d’exploitation d’une œuvre. Nous sommes la seule population en France pour laquelle la notion de travail est détachée de celle du temps. Nous l’acceptons : la création est une zone complexe, variable selon les individus, qui peine à rentrer dans un carcan.Mais pourtant, des cases, il y en a, dans cette société. Et les récentes réformes ont achevé de nous reconnaître comme des « actifs comme les autres ». À ceci près que… nous ne sommes pas comme les autres. Et ce n’est pas de notre fait : c’est la construction même du droit d’auteur, et les usages instaurés dans le monde de l’édition.
Auteurs et autrices ont appelé à l’aide. En vain. Aujourd’hui, ces réformes s’appliquent. Problème ? Si nous sommes des travailleurs aux yeux du pays, nous ne le sommes pas aux yeux de l’industrie du livre. Nous n’avons aucun code du travail.
Aucun minimum de rémunération. Et c’est ce grand écart entre ces deux mondes, notre société et le monde de l’édition, qui cause le démantèlement progressif d’une profession fragile. D’un côté, tout le corps professionnel des auteurs et autrices français s’effondre, de l’autre, quand il s’agit d’acquisition de droits à l’étranger, les investissements des maisons d’édition sont importants.
Quid de l’exception culturelle ? Est-elle pour les auteurs et autrices un mirage ?
Au XXIe siècle, le secteur du livre n’est plus un monde d’artisanat. C’est une industrie.
Le marché du livre représente 4,5 milliards d’euros.
Le secteur du livre totalise 80 000 emplois.
C’est 430 millions de livres vendus en 2017.
Les créateurs et créatrices français sont dans une crise sociale sans précédent, sans aucune protection ou réglementation de leurs conditions de création.
Si l’on se réfère au Code de la propriété intellectuelle, le silence plane sur les questions de rémunérations. Une seule assurance : la rémunération proportionnelle. C’est déjà une bonne assurance, celle d’un partage de la valeur que la création génère. Problème ? Rémunération proportionnelle, c’est flou. Combien de contrats circulent, avec des montants à 0,5 %, 2 % ?
En littérature jeunesse, la moyenne des pourcentages est de 5,2 %, à se partager entre coauteurs. Autrement dit, un auteur jeunesse touche souvent moins que la part de TVA prélevée par l’État sur un livre qu’il a créé. Quand il n’y a pas de règle, quand il n’y a pas de limite, alors tous les abus sont possibles.
En France, même les stagiaires bénéficient de minimums de rémunération.
Alors ces 10 % minimum, ils concernent qui, concrètement ? Eh bien peut-être pas tant de monde que cela actuellement, si on y réfléchit. Ils concernent les auteurs et autrices qui vont rencontrer un important succès. Car aujourd’hui, pour commencer à toucher des droits sur un livre, encore faut-il « rembourser » son à-valoir, avance sur droits d’auteur à la définition assez trouble, qui entremêle le coût de la cession des droits, l’investissement de l’éditeur, le temps de travail de l’auteur.
Connaît-on un autre domaine dans lequel à aucun moment ni le travail ni l’exclusivité d’exploitation ne sont « réellement » rémunérés ? Alors 10 % minimum, c’est bien en cas de succès. C’est simplement l’assurance d’une juste répartition de la valeur générée par sa création.
10 % minimum, c’est vraiment un minimum.
Aujourd’hui, finalement, en parlant de minimum de rémunération, nous parlons d’encadrement. Nous parlons de règles. Nous parlons de la reconnaissance d’une profession.
Fixer un minimum pour la rémunération proportionnelle, c’est poser des règles et des cadres pour les auteurs et autrices, dans un secteur qui est régulé pour tous les autres intervenants de la chaîne du livre… sauf eux.