Quand mon premier livre est paru, on m’a demandé si j’allais cesser de travailler. J’étais alors salariée dans un grand groupe, et j’avais signé pour ce livre un contrat offrant 8 % de droits d’auteur, à partager entre deux co-auteurs, sur un ouvrage vendu 16 euros. 64 centimes par livre pour moi, versés au mois de juin de l’année N+1, et imposables.
Combien d’exemplaires aurait-il fallu écouler pour que je quitte l’emploi grâce auquel je payais mon loyer ? Avec cette question, j’ai néanmoins pris pour la première fois la mesure du fantasme qui entoure l’écrivain, n’est-il l’auteur que d’un seul livre.
Riche.
A la publication de mon deuxième livre, j’ai fait le grand saut, en conscience et en connaissance de cause. Être entièrement disponible pour l’écriture, qui m’anime depuis toujours, avec l’espoir fou d’en vivre. Je n’ignorais pas que, pour beaucoup d’appelés, il ne se trouve que peu d’élus. Je n’avais pas encore touché le moindre euro de droits d’auteur.
Sept ans plus tard, dont deux à tenir grâce au RSA, je ne vis plus sous le seuil de pauvreté. Pour y parvenir, j’ai publié trente livres, plusieurs dans de grandes maisons d’édition. Pour y parvenir, je vais régulièrement parler de mes romans dans les établissements scolaires. Pour vivre bien, j’ai également fait d’autres choix : cesser de consommer ce qui n’est pas indispensable, et quitter Paris.
Aux jeunes lecteurs que je rencontre dans les classes, je cite Confucius : « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie. » Je vis de ma passion et j’en savoure l’immense satisfaction, j’ai choisi la situation qui est la mienne, mais le fait est que je travaille. Avec passion, mais je travaille – à temps plein. Week-ends inclus.
Et que ce travail comporte une part de lutte, pour faire respecter ledit travail d’une part, pour obtenir des informations sur ce qu’il rapporte, puis les sommes correspondantes, d’autre part : l’édition est un milieu opaque, les éditeurs sont les seuls à détenir les chiffres qui pour les auteurs deviendront une rémunération, il leur arrive de ne pas les donner, ou plus tard que prévu, ou en partie seulement.
Les auteurs n’ont d’autre choix que de leur faire confiance.
Sur un marché fluctuant et agité par des forces mystérieuses, comme la plupart des marchés. Le droit d’auteur, fonction du succès d’un livre, et nullement du temps passé à l’écrire, est par essence un revenu imprévisible.
Quant aux rencontres rémunérées, elles le sont souvent dans des délais qu’aucun autre secteur ne tolérerait. Les revenus de l’auteur dépendent donc en partie d’actions sur lesquelles il n’a pas de prise, et son pouvoir d’achat, avec la hausse des charges (non compensées comme c’est le cas dans la plupart des autres secteurs d’activités), a déjà baissé.
Comment, avec tant de spécificités, espérer que subsiste un statut dont la précarité rime déjà avec fragilité lorsqu’il sera intégré au régime général ? La particularité du régime des artistes auteurs devrait au contraire être renforcée.
L’oisiveté peut être un choix, dont il faut assumer les conséquences. Mais à quelles fins pénaliser ceux qui travaillent en les privant des maigres fruits qu’ils récoltent ? Et comment accepter que le gouvernement méprise à ce point les instances qui représentent les auteurs (au sens large) ?
Qui écrira des livres, demain, si les auteurs, déjà équilibristes, sont précipités à terre par les mesures gouvernementales ? Quel sera alors le visage du monde de l’édition ?
Je travaille et j’aimerais continuer à le faire.
Parce que je ne veux pas d’un monde sans livres. Parce que je souhaite que la production éditoriale continue à refléter la diversité, donc la richesse, de notre société. Parce que je rêve que tous ceux qui ont quelque chose à dire puissent le faire, même si leur premier livre ne devient pas un best-seller.
Et que je crois que la littérature, comme la culture plus globalement, est une forme de résistance dont nous avons particulièrement besoin en ces temps qui voient nos libertés chaque jour davantage entravées.