De l’obligation des activités accessoires pour vivre de l’écriture

 

 

Publié le 5 mai 2025

Par Élodie Torrente

Autrice

Membre du conseil syndical de la Ligue

Publiée depuis 2008 à compte d’éditeur, j’anime des ateliers d’écriture pour tous les publics depuis 2011. Cette activité accessoire d’animation d’ateliers artistiques, proposée pour le compte d’une association par la maire d’une ville qui avait lu mon premier recueil de nouvelles, m’était alors inconnue.
Passionnée de mots et des autres, à l’agonie financière, seule avec deux enfants à charge, je me suis formée. Après deux ans d’intervention pour l’association, forte de cette expérience enrichissante, à la faveur d’un déménagement et en complément de mon activité d’autrice, j’ai décidé de fonder une association dans une ville du 95 où je m’installais et qui ne proposait aucune activité dans le domaine de l’écriture.
Dès octobre 2013, ces ateliers hebdomadaires d’écriture créative destinés aux habitants se sont tenus pendant chaque année scolaire. En juin, un recueil des « écrivants » était édité. Je m’occupais des nombreuses relectures et corrections, de la mise en page de l’intérieur et de la couverture (je suis aussi maquettiste livre en autoentreprise), de la diffusion locale. Parallèlement, pour promouvoir l’humour en littérature et ses auteurs, en tant que directrice bénévole je créais un concours international de nouvelles humoristiques francophones qui, sous le parrainage d’un·e écrivain·e reconnu·e (évidemment drôle), attirait des auteurices amateur·e·s venu·e·s des quatre coins de France et du monde. Les dix à quinze meilleures nouvelles, dont les trois lauréates, étaient publiées par l’association qui comptait une bénévole : moi. Au début, entre deux ateliers, deux prix, deux recueils des participants j’écrivais des nouvelles commandées par mes éditeurs ainsi qu’un premier roman. Dès 2018, je n’ai plus pu. Mener de front ces activités tout en participant à la promotion de mon premier roman pour des miettes a eu raison de mon énergie. J’ai progressivement arrêté de pianoter mes propres fictions sur mon clavier pour ne m’occuper que des textes des autres. J’avais pourtant les recherches et le premier jet d’un deuxième roman écrit en résidence d’écriture dans mon ordinateur.
Par chance pour moi, la pandémie est arrivée. Dans le silence de ce moment unique, j’ai eu l’impression, malgré la ferme obligation de rester chez soi, de recouvrer ma liberté, d’avoir enfin le droit de me reposer, de reprendre le chemin de l’écriture pour mon compte et non plus pour celui des autres. « Charité bien ordonnée commence par soi-même ». J’expérimentais le célèbre dicton. Je mis fin au prix de la nouvelle humoristique et dissous l’association.
J’ai profité de cette période pour réécrire ce deuxième roman qui m’a demandé un travail conséquent de recherche, d’écriture, de réécriture, de relectures, de corrections (pour aboutir à des propositions de contrat par des éditeurs qui n’ont d’éditeur que le nom et que j’ai donc refusées), répondre à des commandes de nouvelles, enregistrer des versions audios de certaines.
Au sortir du confinement, mairie, éditeur, école supérieure et communauté de communes ont renouvelé leur besoin de me voir animer des ateliers d’écriture auprès des élèves d’écoles élémentaires, de collèges, de lycées, auprès de patients à l’hôpital. Pour certains, j’ai aussi géré des projets éditoriaux grâce à mes compétences de maquettiste.
J’aime animer les ateliers, rencontrer ces publics, partager mon amour des mots et du texte. J’aime désacraliser l’acte d’écrire, montrer par la pratique le travail qu’est l’écriture. J’aime apprendre de ces échanges, découvrir de nouvelles voix, embarquer vers d’autres voies.
J’aime et heureusement !
Ces activités accessoires me permettent de gagner ma vie, de la gagner mieux qu’en cédant les droits d’un roman ou d’une nouvelle à un éditeur.
Et c’est bien là où le bât blesse.
Depuis 2020, si je n’ai plus la charge du concours de nouvelles humoristiques ou des ateliers hebdomadaires, mon temps reste occupé par des dizaines d’heures annuelles d’ateliers d’écriture. Je ne m’en plains pas. Je le répète, j’aime transmettre mon art. Mais j’aime aussi écrire, avoir du temps pour exercer mon travail, le premier, celui qui me vaut d’être sollicitée pour intervenir auprès des publics. Or, quand comme moi, de septembre à juin, on propose des consignes d’écriture adaptées à chaque projet, on se déplace de classes en salles sur un territoire toujours plus vaste, quand on maquette des livres facturés sur le compte de son autoentreprise, quel temps reste-t-il pour construire une fiction, effectuer des recherches, lire, écrire, réécrire, relire des heures durant puis proposer son projet à des éditeurs ciblés ?
Écrire est un travail à temps (plus que) plein. Un travail qui impose de multiples compétences, de l’écriture à la comptabilité en passant par le juridique, la communication et la représentation. Un travail qui doit être rémunéré à sa juste valeur.
Hélas, à 8 % de droits en moyenne sur le marché ultra-concurrentiel de la littérature générale, avec des à-valoir minimes voire inexistants, comment payer ses factures ?
En animant des ateliers payés au tarif préconisé par les syndicats d’auteurices.
Ainsi vivre de mon art grâce aux activités accessoires.
Et, ce faisant, la plus grande partie de l’année, mettre de côté mon cœur de métier.
Au risque de n’avoir plus l’énergie d’écrire et de n’être plus publiée ?
Élodie Torrente