Isabelle Bauthian, membre de la Ligue des auteurs professionnels, est romancière et scénariste de BD. Elle signe une tribune sur un phénomène qui est sur toutes les lèvres des auteurs et autrices : quel mystérieux logiciel malveillant fait qu’il est sans cesse compliqué d’obtenir ses droits d’auteur ou de faire valoir ses droits tout court ? De l’humour pour un sujet profondément grave. Qui est aux commandes, on se le demande…
Qui veut la peau des auteurs ?
Depuis une décennie, les auteurs et autrices sont écrasés par des réformes déconnectées des réalités. En même temps, ils sont rémunérés de façon aléatoire, et n’ont pas accès à leurs chiffres de ventes. Ce n’est jamais la faute de personne. C’est toujours une affaire de bugs, de limitations technologiques. L’acharnement d’un logiciel sournois. On en finirait par se demander si un mauvais génie n’est pas aux commandes…
Quand les auteurs et autrices reçoivent des erreurs sur leurs redditions de compte – toujours en leur défaveur – pouvant représenter des centaines voire des milliers d’euros, l’explication des maisons d’édition est un PROBLÈME DE LOGICIELS.
Quand les auteurs et autrices demandent aux groupes éditoriaux d’avoir accès à leurs chiffres de ventes tout comme eux, quand ils et elles demandent de passer à la reddition de compte trimestrielle afin de pouvoir ajuster leur trésorerie aux réformes, la réponse est que c’est impossible À CAUSE DES LOGICIELS OBSOLÈTES.
Quand les auteurs et autrices assujettis à l’AGESSA subissent une hausse de cotisations de 7% au 1er janvier 2019, ils apprennent que c’est parce que leur organisme de sécurité sociale dédié n’a jamais recouvré les cotisations obligatoires depuis 1975. La raison ? UN SYSTÈME INFORMATIQUE OBSOLÈTE (comme l’indiquent les fiches d’évaluation préalables des articles du projet de loi de financement de la sécurité sociale).
Tout ça n’est pas bien grave. Après tout, les auteurs et autrices ont l’habitude : quand ils remplissent chaque année leur déclaration AGESSA, ils se retrouvent face au LOGICIEL QUI BUGUE… des heures à remplir manuellement chaque diffuseur pour voir tout s’effacer ! Quand ils demandent un outil simple et efficace, leurs
courriers restent sans réponse… Au moins, c’est l’occasion d’en rire entre eux !
Au 1er janvier, les auteurs et autrices ont reçu un document administratif essentiel : leur dispense de précompte. Oups ! Ce n’était pas la bonne ! ENCORE UN BUG, dites donc !
Quand les auteurs et autrices demandent un système de compensation simple pour la CSG, on leur répond que c’est impossible, à cause des IMPOSSIBILITÉS TECHNIQUES actuelles ! Mazette, que de bugs !
Cela fait des années que les auteurs et autrices intervenant dans les écoles peinent à se faire rémunérer selon les règles de la circulaire de 2011. Mais, depuis le 1er janvier, la contrariété s’est muée en catastrophe : les gestionnaires d’écoles, de collèges et de lycées affirment carrément ne plus pouvoir les payer. La raison : un établissement scolaire ne serait pas habilité à payer les cotisations au nouvel organisme en charge du recouvrement de leurs cotisations, l’URSSAF. Pourtant, l’ancienne ministre de la Culture Françoise Nyssen annonçait récemment que l’éducation artistique et culturelle était une priorité, qu’il fallait des auteurs et artistes dans l’Éducation nationale !
Extraits du discours :
« Notre politique ne réussira pas sans l’engagement des artistes et des professionnels de la culture. Il faut accompagner les enseignants, créer de nouveaux projets avec des professionnels, faire venir encore davantage d’artistes dans les écoles et bien évidemment, rémunérer ces interventions. »
Ou encore :
« Je lance aux artistes et professionnels un appel aujourd’hui. Certains sont mobilisés de longue date, metteurs en scène, danseurs, auteurs, plasticiens, conservateurs, musiciens, techniciens aussi : je pourrais en citer d’autres, je les en remercie. Nous ne réussirons pas à construire cette école des arts et de la culture sans eux.
Dès ce soir, je réunis une trentaine d’artistes de renommée nationale et internationale au ministère, pour les inviter à devenir les ambassadeurs de cette ambition et à rallier leurs pairs, pour aller dans les écoles et nous aider à porter cette grande ambition de société. »
Dans ce cas, pourquoi, depuis quelques mois, les auteurs et autrices se voient-ils refuser les paiements de leurs interventions dans les classes, ou annuler des rencontres prévues de longue date ? Ne cherchez pas, aucun suspens : C’EST LA FAUTE AU LOGICIEL EN PLACE !
En résumé, nous sommes au 21e siècle, et pour les auteurs et autrices, il est informatiquement et techniquement impossible :
- De connaître leurs chiffres de ventes,
- De recevoir des paiements réguliers,
- D’être rémunéré par les établissements scolaires alors qu’on leur demande d’être impliqués au cœur de l’Éducation nationale,
- D’avoir un organisme de sécurité sociale dédié qui serait simple, efficace, calibré pour leurs métiers
- De vivre des réformes anticipées, réfléchies avec des études d’impact sur leurs spécificités
- Que leurs organismes dédiés aient un système informatique OPÉRATIONNEL
- Et cetera.
Quel est donc ce mystérieux logiciel omniprésent qui fait que dès que nous voulons obtenir nos droits, c’est toujours IMPOSSIBLE ? Est-ce le même qu’a rencontré Sophie Dieuaide quand elle relatait son expérience de tentative d’arrêt maladie, quand elle avait été « accidentellement » radiée de la sécurité sociale ? Une intelligence artificielle a-t-elle mis au point un redoutable logiciel pour nous éliminer et prendre notre place ?
Mmm… Ça pourrait être le point de départ d’un bon bouquin.
Ces dysfonctionnements ne sont pas du fait des auteurs et autrices. Mais ils les pénalisent. Gravement.
Nous sommes au 21e siècle. Quelle autre profession vit des atteintes aussi répétées à ses droits ? À quelle autre profession on donne des réponses aussi ahurissantes ? Ce n’est pas parce que nous sommes des auteurs et autrices que nous allons accepter ces justifications dignes d’un roman de science-fiction.
Nous méritons, comme n’importe quels citoyen et citoyenne, d’avoir accès à nos droits. Et aucune « limitation technique » n’est une excuse acceptable.