Si les auteurs meurent, que deviennent les éditeurs ?

Publié le 22 novembre 2018

Par Gaëlle Nohant

Écrivaine

Administratrice de la Ligue des auteurs professionnels

Chers éditeurs,

Je m’adresse à ceux d’entre vous (et vous êtes nombreux !) qui faites votre travail avec exigence, intégrité, passion et ténacité, aimez vos auteurs et vous battez pour défendre leurs textes, tentez de les faire exister dans l’océan d’une surproduction qui enterre à peine née la grande majorité des livres.

Notre relation n’est pas toujours au beau fixe. Nous espérons beaucoup de vous. Nous ne nous comprenons pas toujours, nous avons parfois le sentiment d’être abandonnés au bord de la route. Et quelquefois, nous avons la chance de rencontrer l’un d’entre vous et de nous sentir vraiment soutenus, accompagnés. De telles rencontres éclairent nos vies et décuplent notre énergie créative.

Il y a maintenant des mois que les auteurs appellent au secours. Nous ne sommes pas des plaintifs. Nous avons choisi un métier de liberté et de risque et l’assumons pleinement. Il a fallu que l’urgence soit grande pour que nous élevions la voix et tirions la sonnette d’alarme.

Comme le rappelait récemment le journal Le Monde, « la surproduction éditoriale a entraîné un recul de 30 % des ventes moyennes par titre en dix ans » qui s’accompagne d’une baisse de nos tirages et de nos à-valoir, dont certains éditeurs exigent désormais le remboursement en cas de méventes. En vingt ans, la production a doublé à notre détriment.

“Ne survivront bientôt que quelques auteurs de best-sellers.”

Dès le mois de janvier les réformes sociales en cours, qui se mettent en place dans un flou inquiétant, vont fragiliser davantage des auteurs dont la situation ne cesse de se précariser : on estime qu’ils sont plus de huit mille à vivre actuellement sous le seuil de pauvreté. Cela signifiera pour beaucoup d’entre nous l’impossibilité de continuer à faire notre métier, sans parler d’espérer en vivre.

Mais surtout la fin de la création littéraire telle qu’elle existe aujourd’hui, de notre exception culturelle. Ne survivront bientôt que quelques auteurs de best-sellers. Ceux dont il faut défendre la singularité, qui ont besoin des éditeurs pour construire une œuvre et fidéliser un lectorat n’existeront plus. Et je crois que tout le monde y perdra.

Votre absence aux États Généraux du Livre (à l’exception notable de Vincent Montagne pour le Syndicat National des Éditeurs) était incompréhensible, votre silence au fil des mois est assourdissant. Pourtant votre mobilisation récente en faveur des directeurs de collection démontre votre efficacité quand il s’agit de défendre une cause qui vous tient à cœur. Plus que jamais, nous avons besoin de vous.

Aidez-nous à obtenir un statut fiscal et social qui protégera les auteurs et la création littéraire en France. Réunissons-nous autour d’une table et réfléchissons honnêtement à ce qui ne tourne plus rond dans le système, aux moyens d’enrayer un cercle vicieux dont pâtissent tant d’acteurs de la chaîne du livre.
L’autre jour, une éditrice qui m’est chère disait sur France Inter : « Nous, c’est vous. Si les auteurs s’enrhument, on éternue. »1 Je veux croire qu’elle était sincère, que ces mots reflètent le ressenti de beaucoup d’entre vous. Mais si les auteurs meurent, que deviennent les éditeurs ? Ces paroles n’ont ni poids ni sens si vous persistez à vous taire, si vous ne vous mobilisez pas aujourd’hui pour sauver vos auteurs. Nous vous attendons, vous espérons à nos côtés dans la bataille.

Notes

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