Parents et auteurs : le calvaire de la place en crèche

Publié le 11 avril 2019

Par Clélie Avi

Écrivaine

Membre de la Ligue des auteurs professionnels

Clélie Avit est membre de la Ligue des auteurs professionnels. On la connaît pour son best-seller Je suis là. Comme d’autres de ses pairs, elle souhaiterait que son métier soit réellement reconnu, et raconte le parcours du combattant d’une jeune maman voulant simplement faire valoir ses droits.

Être auteur, c’est… un rêve ? Rencontrer des lecteurs ? Écrire tranquillement chez soi ? Chercher l’inspiration ? Faire face à la page blanche ? Autant de réponses envisageables. Mais aujourd’hui, je vais vous conter une version insolite : être auteur, c’est grave.

Il était une fois, une femme qui devint auteure. Son livre venait d’être publié, elle était heureuse. Son roman étant un succès, elle était encore plus heureuse, alors payer ses impôts, ce n’était pas grave, c’était le signe qu’elle avait bien travaillé.

Il fallait payer…

Très vite après, arrivèrent des courtisans. Agessa. Ircec. Apparemment, il existait une sécurité sociale pour les auteurs, très bien, une retraite complémentaire obligatoire aussi, même si elle se demandait quand un auteur pouvait bien prendre sa retraite… Malgré tout, il fallait payer, alors elle paya.

Parallèlement, l’auteure exerçait un autre petit métier, lui assurant un petit salaire. Comme elle voulait aller vivre ailleurs, elle prépara son dossier pour trouver un nouveau logement. Et elle se retrouva face aux agents immobiliers…

Est-il vraiment besoin de narrer cette mésaventure ? Oui, il est besoin. Avec son petit salaire de petit métier, l’auteure n’avait droit à rien, alors elle compta sur ses droits d’auteurs. Et là… Échec. Il fallait des bulletins de salaire. Les droits d’auteur faisaient sourire, voire rire narquoisement les agents immobiliers. Être auteur avait l’air d’être une grave maladie qu’aucune ordonnance ne pouvait guérir…

Alors l’auteure se rabattit sur des particuliers qui lui louèrent un joli appartement parce qu’elle avait l’air gentille et de bonne foi. Elle avait montré ses droits d’auteur, mais au final, ce n’était même pas ce qui avait motivé les propriétaires. Cela lui mit du baume au cœur et elle reprit confiance. Être auteure n’était peut-être pas si grave que ça.

Et puis, une douce rencontre

Un jour, l’auteure tomba amoureuse. Par chance, l’homme était auteur/dessinateur de bandes dessinées, il comprenait tout sur les auteurs. Ensemble, ils choisirent d’habiter dans le joli appartement, diminuant un peu les charges de l’auteure. Mais pas tant… Être auteur/dessinateur de BD semblait encore plus grave qu’être auteur de romans. Ils essayèrent d’oublier ce détail, elle avec ses 10 % bruts par exemplaire vendu et lui avec ses 5 %, et commencèrent à vivre à deux, accumulant leurs euros et demi-euros.

Puis ils voulurent fonder une famille. Durant sa grossesse, l’auteure assura bénévolement ses salons littéraires avec son gros ventre, se contorsionnant pour rentrer dans les sièges étroits des avions. Parfois, pendant les interventions non rémunérées, on lui trouvait une chaise confortable.

Puis le terme approcha. L’auteure se hâta de finir d’écrire son livre quinze jours avant la naissance. C’était bien. Même si le congé prénatal de son petit travail la disait au repos depuis deux mois, elle avait travaillé jusqu’au bout. Après viendrait la relecture, mais elle se laissait quatre semaines avant de se replonger dedans. Enfin… Si son éditeur ne la pressait pas. Le papa, lui, se remit au travail bien plus tôt.

Il n’avait pas le choix. Il ne profita pas vraiment du petit congé paternité de son petit travail (car lui aussi en avait un). Heureusement, il était à la maison. C’était déjà bien. Il avait cette chance, il pouvait s’estimer heureux. Mais il fallait travailler, alors il travaillait.

La famille s’agrandit

Désormais trois, il fallait trouver un appartement plus grand. Être auteur redevenait soudain très grave. Le couple voulut devenir propriétaire, mais les agents immobiliers et banquiers les firent vite abandonner. Ils restèrent donc locataires et se tournèrent vers les particuliers. Par chance, ils trouvèrent des propriétaires qui les choisirent parmi trois dossiers parce qu’ils avaient l’air gentils et de bonne foi. Ils avaient pourtant bien montré leurs petits salaires et leurs droits d’auteur, mais les propriétaires attestaient que ce n’était pas ce qui les avait motivés. Encore une fois, être auteur n’était peut-être pas si grave…

Ils pouvaient toujours compter sur leur bonne foi.

Afin de continuer à exercer chacun leurs métiers, il fallut faire garder l’enfant. Par chance, ils trouvèrent une place en crèche en fournissant les papiers de « l’année N-2 ». Ouf ! Ils étaient passés de justesse ! Pour eux, « N-2 » signifiait une année où il n’était pas encore trop question de droits d’auteurs. Ils étaient saufs. Mais pour les week-ends en salons littéraires, marraine la bonne fée n’était pas toujours libre. Alors ils prenaient le lit magique et leur bébé sous le bras, priant pour qu’il réussisse à faire ses siestes au milieu du brouhaha.

Puis arriva un deuxième enfant et, de la même façon, l’auteure fit des pieds et des mains pour achever le texte avant la naissance. Malheureusement, cette fois, son éditeur n’assura pas. Il restait encore une relecture complète au jour de la naissance et l’auteure reçut les corrections à peine deux semaines après l’accouchement. Le roman paraissait deux mois plus tard, juste à la fin du congé postnatal. Il fallut se dépêcher. Il fallut travailler. L’auteure acheva la relecture pendant les siestes de son bébé, et assura la promotion, tirant discrètement son lait dans les petits placards des salons littéraires ou dans les halls d’aéroport.

Des vacances tous les jours !

Puis, comme pour le premier enfant, il allait falloir le faire garder. Les parents imaginaient déjà les rires de la commission de la crèche : auteurs ? Mais ils travaillent à la maison, non ? Ils sont en vacances quand ils veulent ! Ils touchent beaucoup d’argent ! Ils n’ont pas d’horaires de bureau, ils peuvent bien travailler quand ça les arrange ! Et puis c’est quoi, ça ? Un salaire ?

Toutes ces phrases déjà entendues les faisaient blêmir d’avance, mais ils remplir tout de même le dossier, ne sachant quoi noter à « temps de travail hebdomadaire » où on leur demandait de cocher « complet » ou « partiel ».
Ils durent alors se résoudre à l’évidence : être auteur était très, très grave. Mais peut-être pouvaient-ils compter sur leur bonne foi une dernière fois ?

Alors ils écrivirent une lettre pour tout expliquer à la commission : que leurs droits d’auteur variaient d’une année sur l’autre, que ni les avances ni les droits n’étaient des salaires, qu’ils estimaient travailler à temps complet, même si aucun document n’était là pour le prouver. En écrivant cette lettre, ils avaient l’impression de se retrouver nus devant des étrangers. Aujourd’hui, on ne se sait pas encore si leur second enfant sera accepté à la crèche… Mais ce qu’on peut dire, c’est qu’ils vivent malgré tout heureux avec « beaucoup » d’enfants.

Voilà donc ce que la vie d’auteur peut être. Une histoire de bonne foi, de demi-euros et de siestes. Une histoire que beaucoup pourraient dire telle que la leur, mais il n’est pas besoin de comparer pour réaliser l’inévitable : être auteur aujourd’hui, c’est grave.

 

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